Poursuivons aujourd’hui la chronologie de mes tops 10 annuels avec 2005, un millésime riche et dense qui m’a conduit à prendre des décisions difficiles en écartant des albums assez formidables, du Tender buttons de Broadcast au premier album de Martha Wainwright. La sélection se partage quasi équitablement entre Américains et Britanniques et se compose essentiellement de valeurs sûres ou de confirmations. A l’exception d’ANOHNI/Antony & the Johnsons, aucun premier album, en effet, ne réussit à se faire une place parmi mes favoris de l’année. Quelques vétérans démontraient une vigueur créatrice intacte, d’autres plus jeunes établissaient une réputation lancée par de premiers essais déjà remarqués (Kills, Sufjan Stevens) ou s’inscrivaient dans une progression à haute altitude déjà bien amorcée auparavant (The Coral, The White Stripes). Une année remplie de belles choses en tout cas, couronnée d’au moins deux inépuisables chefs-d’œuvre dans des genres radicalement différents. C’est parti pour le compte à rebours.
Près de 30 ans de carrière et au moins autant d’albums au compteur n’émoussaient en rien l’acuité et la brillance du songwriter anglais. Avec ce disque essentiellement acoustique, réalisé en quasi-autarcie, l’immense Richard Thompson livrait une merveille de musicalité, de fluidité et d’écriture, mêlant avec la même prestance l’ironie et la mélancolie, la gifle et la caresse. Un point haut dans une discographie jamais étale.
Le premier album de celle devenue depuis ANOHNI brille encore vingt ans après d’une sensibilité peu commune. Rarement aura-t-on entendu pareille mise à nu dans ces chansons qui combinent à merveille fragilité et force expressive. Entourée d’invités prestigieux, ANOHNI livre pourtant un disque ô combien singulier, où la richesse de l’instrumentation et la beauté transperçante du chant se rejoignent pour nous donner à voir rien moins que le coeur et l’âme de leur créatrice.
Disque résolument hors du temps, ce quatrième album solo de l’Anglais Richard Hawley affiche crânement son élégance démodée et son classicisme à la flamboyance jamais pompière. Le bonhomme a de quoi être fier, tant ces chansons sublimes sont belles comme une ville la nuit, peuplées de solitudes et de rencontres, de séparations et d’espérances. Romantique sans esbroufe, Hawley s’imposait ici dans notre paysage comme une voix (somptueuse) de haut vol, pas loin des Roy Orbison, Paul Buchanan et autres Paul Quinn.
Après le triomphe de Seven nation army et de l’album Elephant, les White Stripes revenaient avec ce disque gonflé sciemment destiné à désorienter celles et ceux qui auraient attendu de nouvelles chansons bâties pour les stades. Pour déroutant qu’il soit, Get behind me Satan se révèle passionnant et intriguant, explorant de multiples directions, parfois au cours du même morceau, et donne à voir tout le plaisir d’un groupe bien résolu à ne pas se trouver là où on voudrait qu’il soit.
Après des débuts déjà fort prometteurs (et réussis), le combo de Liverpool montait encore le niveau avec ce formidable bijou de pop libératrice. The Coral réussit à mêler la tradition musicale haut de gamme de sa ville natale (des Beatles aux Pale Fountains) avec les harmonies en cascade d’une certaine pop West Coast, celle des Byrds ou de leurs héritiers. D’une inventivité mélodique constante, The invisible invasion aligne les classiques pop avec une facilité bluffante, donnant à entendre un groupe au sommet de son art. Etincelant.
Le duo le plus sexy de la planète rock récidivait avec ce deuxième album fumant et bouillonnant. Dépouillées et sauvages, les chansons des Kills griffent et électrisent, le tout avec un minimum d’effet : une guitare électrique tranchante et mal peignée, une boîte à rythmes frénétique et efflanquée, un duo de voix sensuel à la beauté goudronneuse. Tout à la fois dansant et maladif, un grand disque de série noire et de nuits blanches.
Avec ce disque somptueux, l’immense Bill Callahan mettait un point final à la discographie de Smog dans un geste digne de l’importance de celle-ci dans nos vies. Le songwriting du bonhomme atteint ici une ampleur époustouflante, dans une forme de vertige ascensionnel et spiralé qui tournoie et tourneboule. Les valses renversantes qui parsèment l’album (Rock bottom riser, Let me see the colts) font miroiter des paysages aussi inspirants qu’inquiétants, qui entrent en résonance avec les failles et les rivières que chacun charrie en son for intérieur.
Bousculé par Nigel Godrich, le grand McCartney nous offrait un treizième album solo assez fantastique, bourré jusqu’à la gueule de mélodies écarlates et d’une mélancolie radieuse revigorante. Un disque à la fraîcheur de source qui nettoiera vos coeurs et vos oreilles, à ranger parmi les (nombreux) bijoux de son prestigieux auteur.
Avec ce disque tempétueux aux allures de vortex, le groupe de Josh Homme nous happait dans un incroyable maelstrom ténébreux, malade et vénéneux. Infusé de psychédélisme opiacé, le metal des QOTSA combine une impressionnante puissance de feu à une prestance mélodique démoniaque, pour un disque aux allures imposantes de Monolithe noir. Des chansons à siffloter au bord du volcan, fasciné par tant de beauté sauvage.
Le génial Sufjan Stevens mettait la barre encore plus haut que sur ses albums précédents avec ce disque extraordinaire, d’une inventivité et d’une richesse proprement inouïes. Géographie fantasmé de l’Illinois, cet album regorge de chansons incroyables, passant avec le même talent de symphonies pop à la folle ambition à des ballades folk belles à pleurer. Débordant d’idées et de mélodies à tomber, Illinoise démontrait que le natif de Detroit était fait d’une autre étoffe que le commun des songwriters. Il l’a largement confirmé depuis.