Nous voici parvenus à la fin d’une décennie, d’un siècle et même d’un millénaire. Pourtant, le millésime 1999 reste pour moi un cru assez nettement en retrait par rapport aux deux années précédentes. On trouve quand même trois ou quatre chefs-d’œuvre, mais le niveau d’ensemble plane à des hauteurs moindres et le banc des remplaçants n’est guère fourni. On remarquera que la pop britannique a quasiment disparu, seul le folk de Beth Orton parvenant à sauver l’honneur de l’Angleterre. En fin de compte, 1999 atteste assez bien de la prééminence de la musique nord-américaine dans mon Panthéon personnel de cette décennie finissante. Canada et USA raflent donc 60% des places de ce top, la musique d’ici parvenant – pour une fois – à être représentée à deux reprises, grâce à deux de ses figures de proue. Les Belges de dEUS et leur rock teinté de références américaines complètent le tableau. Moins marquante ou pas, 1999 est loin de m’avoir fait négliger la musique et, comme tous les ans, j’y trouve et retrouve plus que mon compte de plaisirs et d’émotions fortes. A vous de juger.
Après un premier album attachant, mais un poil éparpillé, sur lequel l’Anglaise semblait hésiter entre folk et musique électronique, Beth Orton se recentre ici sur ses aspirations folk sans pour autant y perdre au change. Plus orthodoxe que son prédécesseur – ce que certains ne manqueront pas de lui reprocher -, Central reservation se veut aussi plus cohérent. Au final, ces chansons dégagent une forme de classicisme fragile d’une grande beauté, simple et désarmante, parfois déchirante.
Enregistré entre Tucson et New York, le 7e album de l’Auvergnat donne à entendre un Murat revigoré, laissant derrière lui le halo de romantisme mélancolique qui commençait à empeser sa démarche. Murat assume pleinement son amour pour les musiques nord-américaines, Neil Young en tête, et livre un album libre et déconneur, parfois puissant, toujours brillant.
Avec un troisième LP surpassant encore ses déjà fort estimables prédécesseurs, Ron Sexsmith confirmait son talent rare d’humble artisan aux mains d’or. Lumineuses et boisées, riches sans ostentation et d’une superbe évidence, les chansons de ce Whereabouts s’en vont chercher des noises – avec révérence - aux grands maîtres du Panthéon pop, de McCartney à Orbison. Un album magnifique et précieux, dont le doux éclat n’a pas fini de nous envelopper.
Difficile de donner suite à un premier album aussi magistral que The blue moods of Spain. Sans se réinventer, le groupe de Josh Haden resserre son propos, rapprochant son folk-blues languide de la pop et de la soul. Le résultat est un petit bijou alternant le chaud et le froid, où l’onirisme distant se marie à merveille avec une sensualité aérienne.
Remué par le succès de La mémoire neuve et l’étiquette « nouvelle variété française » qu’on commençait à lui coller, Dominique A. livrait un quatrième album fracassant et fracassé. Maussade, malade, perclus de mélancolie poisseuse et baigné d’une colère rentrée souvent impressionnante, Remué se nourrit de samples charbonneux et de guitares abrasives pour figurer un drôle de précis de décomposition. Sans grand équivalent dans la chanson d’ici, Remué demeure encore presque 25 ans après un disque qu’on aborde sur des œufs, de peur d’être englouti par sa corrosive dépression.
L’immense Bill Callahan poursuivait sa majestueuse ascension vers les sommets avec ce formidable Knock knock, huitième album publié sous ce pseudonyme embrumé. Knock knock est une étape de plus de l’ouverture progressive opérée par cette musique, qui se pare ici d’atours nouveaux, là une boucle entêtante, ici une chorale d’enfants. S’il creuse toujours peu ou prou le même sillon (folk, blues, country), Callahan élargit sans cesse son périmètre d’action pour atteindre une compacité et une profondeur de champ remarquables. Bref, un grand disque de plus dans une discographie qui n’en manque pas – et bien d’autres suivront.
Après un premier album remarqué, parfois effectivement brillant, on craignait pour Fiona Apple une dérive vers un adult-rock centriste et ronronnant. On n’était pas prêt à la claque représentée par ce deuxième opus au titre à rallonge. Comme libérée de ses inhibitions, la jeune fille mélancolique de Tidal cède la place à une femme bagarreuse, audacieuse et désirante, qui habille des textes souvent mordants d’orchestrations de haute volée. L’album se révèle ainsi un formidable champ de bataille, entre assauts toutes griffes dehors et tentations de retraite. La guerre est déclarée.
Le groupe de Jeff Tweedy change de braquet et de catégorie avec ce disque sur coussin d’air, qui enchaîne les chansons à tomber avec une souplesse remarquable. Wilco joue une musique à la fois robuste et fragile, pleine d’échardes et ensoleillée, maison de bois majestueuse mais dont chaque recoin craque sous les pas et recèle secrets et fissures. Premier chef-d’oeuvre d’une discographie qui n’en manque pas.
Avec The ideal crash, les Belges de dEUS atteignent un pic vertigineux, mêlant mélodies assassines et déflagrations bruitistes pour distiller un bien précieux nectar. Impressionnant disque fauve, cet album allie la puissance et la souplesse, l’animal et le cérébral pour célébrer dans un roboratif feu de joie la fin d’un millénaire. Accessoirement, une des plus belles pochettes de l'histoire du rock.
On n’aura sans doute jamais fini d’essayer de faire le tour de ce disque magique, de cet assemblage unique de chansons qui émeuvent autant qu’elles intriguent. Ce premier album du groupe de San Diego recèle une musique faite de mélodies entrelacées, de voix qui s’unissent ou se répondent, comme si tout n’était qu’affaire de liens, sans cesse défaits, sans cesse à renouer. Un disque immense dont la virtuosité discrète révèle à chaque écoute de nouvelles beautés.