De feu et de métal
RVG Brain worms (2023, Fire Records)
On sait depuis longtemps que l’Australie est une terre fertile en groupes de rock de haute volée, capables de conjuguer avec panache l’intensité et les mélodies. Deux de mes groupes préférés – les Apartments et les Go-Betweens – sont issus de l’île continent et, plus récemment, The Sleepy Jackson ou les Rolling Blackouts Coastal Fever ont démontré que la flamme du rock à guitares australien demeurait bien vivace. Le quatuor RVG s’inscrit sans rougir dans cette prestigieuse lignée et son troisième album paru l’an dernier l’a confirmé avec brio.
Looking at my future / Through a past I’ll never have / How can anyone be sure of themselves / When the sky is turning black / Well I know / That talking to you doesn’t work anymore / So I don’t
Midnight sun
RVG se forme en 2015 près de Melbourne autour de la chanteuse et principale songwriter, Romy Vager. Il se dénommera d’ailleurs au début de l’aventure Romy Vager Group, en référence au Patti Smith Group, avant d’être ramené sous forme d’acronyme. Le groupe fait paraître un premier LP en 2017, A quality of mercy, largement passé sous mes radars. C’est en 2020, avec le très réussi Feral que le groupe commence à élargir son audience, malgré sa sortie en pleine période de pandémie. RVG brille alors par sa façon de mêler le sens mélodique précieux des Smiths ou des Go-Betweens à des influences post-rock, le tout avec une forme d’honnêteté et d’efficacité redoutables. Avec Brain worms, les Australiens franchissent encore un palier dans la qualité de leur écriture et dans l’impact émotionnel de leurs chansons, bardées de feu et de métal.
The room is so cold and dark / Your family are wearing masks / I can’t hear the eulogy / The stream is bad quality / And I don’t wanna see you go / Through a tab on Google Chrome
Tambourine
Enregistré à Londres avec le producteur James Trevascus, aperçu aux manettes aux côtés notamment d’autres fameux Australiens, de Nick Cave aux regrettés The Goon Sax, Brain worms se révèle à chaque écoute un disque brillant et brûlant, déployant en moins de trente-cinq minutes chrono un impressionnant alliage de densité et de lyrisme jamais pompier. Romy Vager impose une personnalité marquée et marquante, faite de colère maîtrisée et de sincérité touchante dans cette façon d’exprimer sans détour ses sentiments. Par rapport à Feral, le groupe relève la gageure de durcir le ton tout en élargissant sa palette, des nappes de synthétiseurs venant notamment souffler dans la trame des morceaux pour en tendre les voiles et les faire s’élever. Ce sont ainsi ces claviers qui viennent faire décoller l’imposant Common ground qui ouvre l’album de la plus belle des manières. Tout au long des dix titres qui composent Brain worms, le groupe démontre sa riche palette mélodique, n’oubliant jamais son goût pour les arpèges des Smiths ou les guitares étoilées des Go-Betweens, mais confronte ces lacis gracieux à une forme de rugosité fauve qu’on retrouverait chez les Psychedelic Furs ou les meilleurs titres d’Echo & the Bunnymen. Le groupe ne se limite heureusement pas à la somme de ces influences et parvient à les conjuguer pour affirmer une personnalité bien à lui, dans un genre pourtant aussi rebattu que le rock à guitares. La présence et l’écriture vibrantes de Romy Vager constituent des atouts supplémentaires pour mettre en valeur ces chansons au romantisme percutant. Ses textes se révèlent ainsi souvent directs et touchants, traitant majoritairement des difficultés des relations interpersonnelles, tout en abordant des thèmes plus variés, explicitement comme les discours complotistes sur Brain worms ou par la bande, comme les incendies ravageurs liés au réchauffement climatique et ayant frappé l’Australie sur Midnight sun.
But I woke up last night dreaming of you / You were foaming at the mouth / There was nothing I could do / Oh I hate deep down / That I still miss you
Nothing really changes
Parmi les grands moments du disque, on mentionnera tout d’abord le déjà nommé Common ground introductif. On relèvera surtout le rageur et tubesque Nothing really changes, morceau d’apparence anodine qui finit par chauffer à blanc pour laisser dans nos mains une marque fumante. Globalement, les titres les plus enlevés sont ici les plus saisissants, comme le tempétueux Squid à rendre jaloux Foals ou les rugueux et rougeoyants Brain worms, Giant snake et Midnight sun. Dans un registre plus doux, on retiendra le très émouvant Tambourine, évocation d’un enterrement vécu en visioconférence du fait du confinement drastique qui frappa l’Australie pendant l’épidémie de Covid. L’album se clôt sur un Tropic of Cancer à la mélancolie caressante et qui se termine en proclamant “No more sad songs in my head”, tandis que la lune s’élève comme la promesse de jours meilleurs. On pourra y voir un présage sur l’avenir lumineux d’un groupe qui mérite d’être connu et reconnu et dont on suivra avec intérêt les prochaines aventures.