En toute modestie
Travis The man who (1999, Epic / Independiente)
Avouons-le d’entrée, nous n’avons pas affaire ici à un impérissable chef-d’œuvre et les Écossais de Travis n’ont jamais ne serait-ce qu’approché les sommets arpentés par Nick Drake, Beck ou les Apartments, artistes récemment chroniqués dans ces pages. Il n’en demeure pas moins que leur pop romantique et mélodique semée au tournant du siècle mérite quand même qu’on y jette une oreille.
Every day I wake up and it’s Sunday / What evers in my eye won’t go away /The radio is playing all the usual /And what’s a wonder wall anyway ?
Writing to reach you
L’aventure n’avait pourtant pas démarré sous les meilleurs auspices. Originaires de Glasgow, les quatre de Travis s’installent à Londres en 1996 et parviennent à sauter dans le wagon de queue de la brit-pop. Avec son premier album, Good feeling paru en 1997, le groupe décroche une paire de hits (Tied to the 90’s ou U16 girls) mais rien ne le distingue de la cohorte de seconds couteaux qui tentent alors de faire fructifier leur pauvre inspiration sur les cendres d’une brit-pop alors en phase terminale. Le quatuor mené par Fran Healy va toutefois s’avérer plus intelligent et intéressant que le gros de ses coreligionnaires. Plutôt que de creuser le sillon ingrat d’un rock à guitares fier-à-bras et bas-du-front, Travis choisit de s’orienter vers une pop sensible et délicate. Et pour réaliser sa mue, le groupe va pouvoir compter sur un catalyseur de premier ordre : sa rencontre avec le producteur Nigel Godrich, aux manettes derrière le prodigieux OK computer de Radiohead et que le monde du rock indé s’arrache à l’époque (Divine Comedy, Beck, Pavement, entre autres…).
Hottest summer in a hundred years / But summer didn’t bother / Getting up this morning / And so all the trees forgot to wake / They were dropping all their leaves / On the ground below them
The fear
De cette collaboration naît un album tendre et modeste, où chacun apporte sa contribution et ses atouts. Godrich amène sa façon unique de dilater les morceaux pour mieux faire vibrer chaque note tandis que Healy vient avec une poignée de compositions douces et romantiques. Quand on lui demandait pourquoi le groupe avait remisé le brouhaha brouillon de son premier opus, Healy avançait une explication on ne peut plus prosaïque : la présence de voisins acariâtres et sensibles au bruit l’aurait forcé à privilégier la douceur et l’acoustique. On remerciera au final cet entourage hostile d’avoir permis l’éclosion de ces chansons d’eau et de bois tendre. Certes, tout n’est pas parfait sur The man who… et la fibre romantique de Travis tend parfois à dégouliner légèrement ou à se boursoufler comme du mauvais U2 (Turn, As you are). On retiendra donc les bons moments, à commencer par cet épatant Writing to reach you inaugural, gerbe d’embruns rafraîchissante projetée sur nos visages. Dans ce registre pop empli de mélancolie rêveuse, le groupe délivre quelques jolis spécimens, de Driftwood au tubesque Why does it always rain on me ? en passant par un She’s so strange au charme bancal teinté de nonsense anglais. Luv évoque certaines ballades fragiles de Neil Young tandis que The fear, sans doute la meilleure chanson du disque, déploie avec superbe une fièvre sourde et une retenue inquiète.
I can’t stand myself / I’m being held up by invisible men / Still life on a shelf when / I’ve got my mind on something else / Sunny days, oh where have you gone
Why does it always rain on me ?
Au final, The man who… est un beau disque modeste, certes pas de ceux qui vous marqueront au fer rouge ou révolutionneront quoi que ce soit mais un recueil de chansons estimables, agréables, émouvantes et parfois brillantes, de celles qu’on apprécie de voir squatter les charts; bien moins vulgaires que le tout-venant. Le groupe poursuivra sur cette voie sur son album suivant, The invisible band avec un brin de qualité en plus. Je n’ai guère suivi ses aventures depuis, le charme discret de son artisanat n’ayant pas suffi à me pousser à guetter chacune de ses apparitions.
1 réponse
[…] Travis Writing to reach you [1999, The man who] […]