La mélodie de l’espace
Broadcast Work and non work (1997, Warp)
C’est un peu comme une ville une discothèque. Il y a les quartiers où l’on a pris ses habitudes, que l’on fréquente assidûment; les rues devant lesquelles on passe sans jamais s’y arrêter; des ruelles sombres, des impasses, des zones franches et des friches où tout est possible, des parcs ombragés où l’on aime à se ressourcer; des cimetières aussi, et des zones désertées qu’on a laissées à l’abandon. Il arrive aussi qu’on cesse pour un temps de fréquenter des lieux dans lesquels on se rendait souvent et qu’on redécouvre un jour, pris d’une envie subite, taraudé par un souvenir ou un je ne sais trop quoi qui nous conduit à y remettre les pieds. On y retrouve alors les charmes qu’on aimait, ou l’on se laisse attirer par des séductions nouvelles et notre géographie intime et musicale se recompose une fois de plus. Je ne sais pas si ma métaphore est très convaincantes mais toujours est-il que je redécouvre en ce moment la musique des Anglais de Broadcast et que j’y retrouve tant des plaisirs anciens que j’en entrevois également de nouveaux et de vifs.
And I don’t know where we are / Can’t say what we’re affected by / Something has us beat / Leaves us open to defeat
According to no plan
Broadcast se forme en 1995 à Birmingham, quintette groupé autour de la chanteuse Trish Keenan et du bassiste James Cargill. Le groupe se fait remarquer en publiant sur différents labels en vogue au sein de l’underground britannique plusieurs singles et EP avant d’être finalement signé sur le label Warp, terre d’accueil de nombreux francs-tireurs des musiques électroniques, d’Autechre à Squarepusher. Sans doute saisi par la cohérence des titres disséminés de-ci de-là par le groupe, Warp décide de les rassembler en une compilation, ce Work and non work qui paraît en 1997.
Je connais mal l’univers de l’électro mais, à mon sens, si l’on envisageait le label Warp comme une galaxie, on pourrait parfaitement considérer Broadcast comme son émissaire vers l’univers de la pop. Loin en apparence des recherches sonores parfois radicales de ses camarades de label, Broadcast semble apprécier les mélodies sixties et les refrains à siffloter, le tout porté par la voix diaphane de Trish Keenan. Pourtant, si le groupe puise aux sources éternelles de la pop-music, il emmène celle-ci vers des territoires moins fréquentés, développant une curieuse esthétique minimaliste et futuriste, un peu comme des Young Marble Giants de l’espace. Broadcast joue ainsi une drôle d’électro-pop, faite de peu (des synthétiseurs, quelques notes de guitare ici ou là, une vraie batterie qui vient parfois ouvrir quelques fenêtres) mais pleine de reliefs, qu’on imagine volontiers composée dans une capsule spatiale.
Turn the lights off / When you’re leaving / I want to watch the car park empty / It’s easy when they’re strangers / To wave goodbye
Lights out
Broadcast crée de savoureux paysages sonores, faisant faire à sa navette de drôles de loopings plus risqués qu’il n’y paraît. La voix monotone et étrangement détachée de Trish Keenan apporte un étonnant mélange de mélancolie et d’innocence à l’ensemble. Le groupe fait son miel de ballades brumeuses, tel l’introductif Accidentals ou cet étonnant We’ve got time, tout en horizontalité nébuleuse. Broadcast excelle à traduire en musique les instants flottants de la conscience ou des sentiments, construisant certains morceaux comme autant de dérives qui entraînent l’auditeur avec elles. On citera notamment le somptueux Lights out, dont la mélancolie poisseuse évoque Portishead en personne. ou le bien-nommé According to no plan. Le groupe sait cependant se faire plus entraînant comme le montre le merveilleux carrousel de The booklovers ou la superbe valse cosmique de Message from home. On regrettera juste que Broadcast cède une fois ou deux aux travers de l’illustration sonore, certains titres comme Phantom ou The world backwards ayant tendance à nous faire un brin piquer du nez.
Loin d’être le disque d’un groupe pleinement mature, Work and non work constitue une présentation au monde très réussie. Perfectionniste, Broadcast mettra trois ans avant de sortir son véritable premier album, The noise made by people (2000) dont je reparlerai bientôt. Ce sera ensuite le magnifique Ha ha sound en 2003, Tender buttons en 2005 puis Broadcast & the Focus Group investigate witch cults of the radio age en 2009. La tragédie viendra malheureusement rattraper Broadcast en 2011 avec le décès de Trish Keenan des suites d’une pneumonie.
1 réponse
[…] « La mélodie de l’espace […]