Un homme singulier
Antony & the Johnsons I am a bird now (2005, Rough Trade)
C’est l’histoire d’un jeune homme né en Californie au début des années 70 et qui, petit garçon, s’aperçut qu’il aurait préféré être petite fille. En tombant sur la pochette d’un album de Culture Club, Kissing to be clever, Antony Hegarty se rend compte que d’autres lui ressemblent et osent l’affirmer haut et fort. Il décide alors qu’il sera, comme Boy George, chanteur ou musicien.
Au début des années 90, Antony choisit de quitter sa Californie natale pour New York, ville plus à même d’accueillir sa singularité sans la juger. Béni du don d’une voix en or, Antony se produit dans les cabarets et forme en 2000 Antony & the Johnsons qui enregistre un premier album éponyme sur un label obscur. Lou Reed, chantre du New York interlope et de ses ambiguïtés nocturnes, le prend sous son aile en l’invitant à participer à deux de ses albums et à faire ses premières parties. En 2004, Antony joue dans le film de Steve Buscemi, Animal factory, et c’est un an après qu’il enregistre cet album qui sera celui de sa révélation aux yeux du monde, lui valant louanges critiques et distinction du Mercury Prize.
Entre gospel, soul, musique de chambre et airs de cabaret, Antony transporte l’auditeur au fil de ces dix titres charriant toutes les fêlures et fragilités de leur auteur: besoin de consolation sur le tourneboulant Hope there’s someone et son final himalayen, désir d’être autre sur My lady story et For today I am a boy, élévation quasi sacrée sur le somptueux Bird guhl et son drapé de cordes beau à pleurer. Entouré d’un casting prestigieux (Lou Reed, Devendra Banhart, Boy George, Rufus Wainwright…), Antony livre pourtant une œuvre de solitaire chantant sa singularité et son lot de douleurs mais affirmant dans le même temps son désir d’exister et d’aimer. Chacun de ses invités semble d’ailleurs prêter allégeance à la majesté de sa voix et de sa musique. Parmi ces nombreux featurings, on retiendra notamment le sublime You are my sister, cadeau princier offert à Boy George, son idole de jeunesse. Surtout, avec l’époustouflant Fistful of love, Antony réalise un authentique chef-d’œuvre de soul blanche et étonnante déclaration d’amour SM (« I feel the whip / And I know it’s out of love ») , où les cuivres et la voix se marient en apesanteur dans une vibrante unisson.
Tel Icare osant approcher le soleil au risque de s’y brûler, Antony ose s’exposer à nu et en majesté, sur un album d’une sensibilité peu commune. Son nouvel album, The crying light, est sorti en début d’année. Je ne l’ai pas encore écouté.