Sur le canapé
Matthew E. White Fresh blood (2015, Domino)
Je vous ai déjà causé dans ces colonnes de ce grand gaillard barbu de Virginie à l’occasion de son épatant premier album, ce Big inner qui déployait devant nos yeux ébahis une soul-pop psychédélique sensuelle et enfumée, dont les spirales hypnotiques enveloppaient et fascinaient tout à la fois l’auditeur. Big inner valut à son auteur de nombreux éloges critiques mais le bonhomme n’allait pas pour autant s’endormir sur ces lauriers. A la tête de sa propre structure de production, Matthew E. White se retrouva ainsi derrière les manettes du remarqué premier opus de Natalie Prass, tout en mettant au service d’autres artistes fort recommandables (comme les Mountain Goats) ses talents d’arrangeur. Et c’est en mars 2015 que le sieur White fit paraître le très attendu successeur de Big inner, ce Fresh blood dont il sera ce soir question.
Oh, the diamonds on the sea look like your eyes to me / Hold me in your arms, babe, I need to sleep / Sing me a song with a voice so sweet / That could calm all the oceans and part the sea
Take care my baby
Sur la pochette de Fresh blood trône plein champ un magnifique canapé. La porte en arrière-plan est entrouverte, comme pour nous encourager à entrer et à venir nous installer confortablement sur ces coussins moelleux. L’invite est explicite et en hôte prévenant, Matthew E. White va s’employer à nous mettre à l’aise. Posant sa voix suave sur des arrangements d’une délicate opulence, l’énigmatique barbu compose un intérieur coquet, baigné de senteurs soul extraites des chansons de Stevie Wonder, Solomon Burke ou Marvin Gaye. White poursuit sur la voie tracée par Big inner, continuant de mêler la luxuriance d’une soul richement orchestrée à celle d’une pop grand format telle que sculptée par quelques orfèvres du côté de la West Coast entre 1967 et 1972. Le bonhomme ne se contente pas pour autant de photocopier les plans de son premier opus. Il délaisse ainsi quelque peu les montages psychédéliques qui faisaient bouillir les meilleurs morceaux de Big inner, ces Brazos ou ces Big love fumants et ruisselants de sueur. C’est ainsi que la fièvre qui agitait Big inner apparaît ici davantage contenue. La plupart des morceaux baigne ainsi dans une drôle de tranquillité, qui confine parfois à la blancheur et d’où finit par se dégager un certain malaise. Comme si White ne savait pas sur quel pied faire danser ses émotions, l’album oscille entre euphorie amoureuse et sérénité plus ou moins fausse. Il apparaît finalement comme un disque plus grave que son prédécesseur, sur lequel les courants de fond remplacent les bouillonnements de surface. Le côté obscur de cette musique transparaît dans de nombreux textes, entre un hommage au défunt Philip Seymour Hoffman (Tranquility) ou un Holy Moly censé évoquer les victimes de pédophilie au sein de l’Église. La potion de Matthew E. White n’en finit pas moins par agir de manière insidieuse, le garçon confirmant sa faculté à mêler dans le même geste sophistication et sincérité.
Goodbye, old friend / To a point underneath the skin / The strong and gentle fade / The lights on Broadway dim / We know no peacefulness
Tranquility
L’album s’ouvre sur un remarquable carré d’as. Matthew E. White place d’entrée un Take care my baby tout de suavité enchanteresse – on appréciera particulièrement les cuivres en cristal de Bacharach – puis varie les plaisirs avec l’enjoué et malin Rock & roll is cold. Le bonhomme ré-enfourne ensuite quelques pelletées de charbon psychédélique pour faire fumer l’imposante locomotive de Fruit trees, qui balance entre rêverie érotique et déclaration enflammée. Arrive enfin Holy Moly, ballade aux contours plus sombres qui culmine en un crescendo orchestral grandiose. Après ces quatre chansons d’envergure, White baisse un peu de pied, avec notamment un Circle ’round the sun tellement pâle qu’il semble être effacé. La deuxième moitié de l’album ne manque cependant pas de qualités, entre la soul au pied léger de Love is deep et la gravité lumineuse de Tranquility. Et si Golden robes ou Vision – malgré le swing – me paraissent un poil moins convaincants, la fraîcheur de Feeling good is good enough apparaît roborative. Au final, et même si j’avoue préférer l’exubérance soyeuse de Big inner, Fresh blood permet à Matthew E. White de passer sans trop d’encombre l’écueil souvent périlleux du deuxième album. On ira donc s’asseoir encore sur son canapé pour profiter de son hospitalité.
The radiance of an orange tree / You and me in the middle of a field / The fragrance of an orange blossom / You and me in the middle of a field / Oh let me sleep in your tent tonight / Lemon and mint tonight / You and me in the middle of a field
Fruit trees
Le garçon est revenu en début d’année accompagné de Florence Morrissey pour un drôle d’album de reprises, Gentlewoman, ruby man, sur lequel je n’ai pour l’heure posé qu’une oreille distraite.