Après la traditionnelle pause estivale, je reviens comme chaque rentrée plein de résolution en espérant vraiment pouvoir consacrer un peu plus de temps à noircir ces pages de manière plus régulière. J’aspire encore, sans doute naïvement, à essayer de partager mes enthousiasmes, à susciter d’heureuses découvertes autant qu’à mieux cerner, par cet exercice d’écriture modeste et maladroit, ce qui me tient et qui m’agite dans ces musiques et ces chansons qui accompagnent mes jours (et parfois mes nuits). Je reprendrai aujourd’hui en poursuivant le fil de mes tops annuels, m’arrêtant pour ce soir sur une année 2001 riche et dense, dont il n’a pas été facile de retenir dix albums. Le banc des remplaçants est fourni de valeureux prétendants (Vincent Gallo, Papa M, Kings of Convenience, Noir Désir, Rufus Wainwright entre autres) mais la sélection finale, en tout cas celle de ce soir, a quand même de la gueule. Mes habitué·e·s ne seront pas surpris·e·s : les musiciens nord-américains se taillent la part du lion avec 6 Américains et 1 groupe canadien, l’Angleterre, la France et l’Islande parvenant à gratter un strapontin. Le « retour du rock » célébré à l’époque ne m’a pas laissé indifférent (plus que la brit-pop par exemple) sans pour autant phagocyter ce florilège, où se côtoient têtes chercheuses, têtes d’affiches (parfois les mêmes) et outsiders. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes, être d’accord ou non, et proposer d’autres choix éventuellement en commentaires. Cliquez sur les titres des albums pour écouter un extrait.
Album de la confirmation – le troisième dans la discographie du groupe - , White blood cells est un grand disque de rock vibrant et malin, mélange idéal de candeur et d’érudition. Au fil de ces 16 morceaux, on entendra aussi bien de lourdes déflagrations électriques chaudes comme du goudron fondu que des pop-songs fuselées aux accélérations fulgurantes. Du rouge, du noir, du blanc, le rock du début du XXIe siècle avait trouvé les couleurs de son blason.
L’Américaine Gillian Welch livrait avec ce disque unique une énième démonstration de l’éternelle actualité des musiques traditionnelles nord-américaines. A travers le folk, le blues et la country, la jeune femme se fait le vecteur d’anciennes douleurs et de sagesses ancestrales, et se joue au fil de ces chansons sublimes du temps et de l’espace, déployant grâce et lenteur pour s’imposer en majesté à nos oreilles.
Il faut célébrer sans fin le génie de Joe Pernice, artisan aux mains d’or de chansons aussi splendides que douloureuses et qu’il décline sous de multiples identités. Ce deuxième album des Pernice Brothers se joue en haute altitude, là où l’air est plus pur, les émotions plus vives mais où votre coeur et vos poumons peuvent vite vous brûler faute d’oxygène. Les pop-songs limpides charrient ici des sentiments troubles, une lumière aveuglante jaillit de fêlures béantes et la joie ne naît que par une connaissance intime de la noirceur. La mélancolie a rarement été aussi éclatante.
Un peu mal-aimé aujourd’hui dans la discographie de l’Islandaise, Vespertine reste à mes yeux un disque remarquable, d’une subtilité et d’une intimité souvent sidérantes. Entre cocon et palais des glaces, Vespertine est un disque d’intérieur jamais pantouflard, où beats, cordes et sonorités synthétiques ne cessent de venir hacker la décoration cosy en y ajoutant chausse-trapes, pièces cachées, rugosités et bibelots incongrus. Un disque qui ressemble bien plus à un repaire d’ensorceleuse qu’à un appartement Ikéa.
La hype qui les entourait à l’époque aurait pu faire craindre au simple feu de paille, mais, plus de vingt ans après, le premier album des Strokes n’a rien perdu de sa pertinence, de sa morgue et sa sève. Bardé de chansons frondeuses et altières, multipliant les riffs imparables comme Jésus les pains, Is this it ? est un classique décoiffant autant qu’un marqueur générationnel et, tout simplement, un putain de bon disque.
Troisième album et troisième coup de maître pour Sparklehorse (alias Mark Linkous), dont la pureté des compositions atteint ici des sommets. Disque doux et lumineux, empli d’une bouleversante fragilité diaphane, It’s a wonderful life est un chef-d’oeuvre de clarté désarmante, un ciel d’après orage encore marqué par la violence de la tempête mais grand ouvert vers un bleu infini.
Après son chef-d’oeuvre de premier album, Pinback faisait plus que confirmer avec ce Blue screen life de haute volée. Les teintes bleu nuit du premier opus cèdent la place à une atmosphère plus aride, mais même sous une lumière plus crue, ces chansons ne perdent rien de leur mystère. L’auditeur se perd alors avec délectation dans ces entrelacs mélodiques et ces constructions savantes et subtiles, palais aux beautés étranges et fascinantes.
Intense, rageur, brûlant, tragique, puissant… il en faudrait des épithètes pour qualifier ce disque fabuleux, sorte de dérive hallucinée au coeur d’une nuit obscure, peuplée de fantômes et de feux follets dont les lumières tournoyantes désarçonnent et désorientent. C’est un disque dont la gravité ne se partage pas, tant il semble nous ramener à notre solitude fondamentale, mais cette beauté désolée et cette fureur toujours au bord de se déchaîner nous retournent à chaque fois comme des crêpes. La silhouette d’un oiseau qui se détache sur un fond d’incendie, la pochette dit presque tout de cette musique hors normes.
Croisement d’une beauté affolante entre rock spatial, electronica, blues mutant et chanson grand style, les onze morceaux de Comm’ si la terre penchait, en plus de m’avoir révélé la grandeur de Christophe, constituent sans doute une des plus formidables odyssées de la chanson d’ici. Onirique et sensuel, ce disque-monde n’a rien perdu après d’innombrables écoutes de sa force hypnotique et de ses parfums entêtants. Sidérant et sidéral, il rapprochait un peu plus Christophe des plus grands aventuriers de la pop et du rock.
Belote et rebelote. Quelques mois après un Kid A époustouflant, Radiohead passait la deuxième lame avec ce recueil de chansons enregistrées en même temps que celles figurant sur son prédécesseur. Deuxième partie d’un incroyable diptyque, Amnesiac n’a pas grand-chose à envier à son grand frère, les expérimentations électroniques côtoyant les tonalités fauves d’un rock bouillonnant, aux contours flous en mouvement perpétuel. Rien de plus exaltant que de sentir comme ici le sol bouger sous nos pieds et réinventer des formes qu’on n’aurait pas osé rêver.