Retour en fanfare
Jonathan Wilson Fanfare (2013, Bella Union)
C’est un disque dont on n’a pas fini de faire le tour. C’est une montagne imposante, aux mille paysages, dont on découvre à chaque nouvelle ascension des recoins inexplorés ou qui viennent à briller d’un éclat différent à mesure que varie la lumière de nos journées. C’est un album passionnant, fascinant, éreintant souvent, écœurant parfois, dont on se détourne en se disant « C’est trop ! », et qu’on pose dans un coin en sachant très bien qu’on y reviendra, juste pour s’assurer qu’on a bien tout compris et pour le plaisir du casse-tête. C’est un disque gargantuesque, où chaque morceau semble en avoir digéré quatre ou cinq au risque du renvoi, flirtant avec l’indigestion et finissant bien souvent par s’élever au-dessus des nuages qui ornent la pochette.
Well she’s living high up there with the sun / With the fern and eucalyptus hey way up in the canyon / Cheer up child, drink that strawberry wine, another time / We’ve arrived in the state of mind / Where everything’s moving gears
Love to love
Avec le merveilleux Gentle spirit, Jonathan Wilson s’était imposé d’emblée comme un songwriter majuscule, un Aladin trentenaire rallumant la lampe magique des génies de Laurel Canyon pour leur montrer qu’il était capable de se hisser à leurs hauteurs. Là où Gentle spirit mêlait en quelque sorte puissance et grâce pour afficher une ambition immense aux pieds d’argile, Fanfare proclame haut et fort l’appétit et l’orgueil de son auteur. Jonathan Wilson sort toute sa panoplie de producteur coté pour offrir le plus bel écrin à ses chansons et pioche dans un carnet d’adresses épais comme le bottin pour s’entourer d’une pléiade d’invités prestigieux, de David Crosby à Graham Nash, de Patrick Sansone (de Wilco) à Josh Tillman (aka Father John Misty) en passant par Jackson Browne. Fanfare est donc un disque écran large, sophistiqué et rutilant, sur lequel les solos de guitare floydiens côtoient l’opulence de l’orchestre, avec cordes, cuivres, vents et tout le toutim. Les morceaux se déroulent pour la plupart sur six à sept minutes, multiplient les breaks et les changements de direction, ouvrant souvent plusieurs pistes et semblant vouloir rassembler plusieurs chansons en une seule. On imagine que les inconditionnels des Ramones et des chansons pop de trois minutes s’étoufferont et il faut avouer que pareille description a de quoi effrayer, tant on pourrait craindre (et on craint parfois) que Jonathan Wilson finisse par se noyer – et nous avec – dans sa propre crue créatrice.
Heaven and earth collide / May the spirit’s guide be the one I navigate tonight / Well I’m just another hardened set of eyes / Looking for a miracle
Cecil Taylor
Et bien pas du tout, et à vrai dire, on se demande parfois comment ce diable d’homme parvient à garder la tête hors de l’eau. A plusieurs reprises, cette musique semble en effet devoir enfler comme la grenouille de La Fontaine et menacer d’éclater mais le bonhomme finit par retomber sur ses pieds. Chaque fois qu’un morceau se lance sur une piste douteuse (à nos oreilles), il finit par trouver le moyen de changer de direction pour finalement abattre nos préventions. Ainsi la montée orchestrale de Fanfare, le morceau, réussit par exemple à se “désampouler” pour laisser derrière elle une merveille d’arrangements de cordes. La musique de Jonathan Wilson continue à se nourrir aux mêmes sources, celle du folk-rock doré de Crosby, Stills, Nash & Young, de l’adult-rock opulent et fiévreux de Fleetwood Mac ou de l’Americana céleste du Band. Sur Fanfare, l’influence du psychédélisme seventies et du rock progressif se fait néanmoins plus prégnante que sur Gentle spirit, et les réminiscences de Dark side of the moon ne sont pas les plus discrètes (comme sur Lovestrong par exemple). Wilson parvient à tenir la charge de ses influences de poids et dispose du talent suffisant pour les faire décoller parfois très haut. On retiendra ainsi particulièrement la fluidité évidente qui coule en flots de Moses Pain, ou l’énergie réjouissante d’un Love to love qui semble droit sorti du Rumours de Fleetwood Mac. Sur Illumination, Wilson endosse le blues rugueux du Neil Young électrique, et le morceau semble d’ailleurs clairement citer le Danger bird du Loner. Mais Jonathan Wilson emballe davantage encore quand il enfile ses semelles de vent, le temps par exemple d’un fabuleux Fazon sur coussin d’air ou d’un Cecil Taylor de velours, qui rend un évident hommage à CSN&Y en invitant David Crosby et Graham Nash à poser leurs harmonies vocales éternelles sur son tapis.
Wild Bill told me he has a big check on the way / Don’t show me how to paint the dawn of day
Illumination
Si Jonathan Wilson livre ici un disque sans doute moins touchant et près du cœur que son prédécesseur, on ne peut qu’être impressionné par l’audacieuse construction que le bonhomme a su bâtir, en captivant homme-orchestre. Fanfare est au final un album passionnant, dont on n’a pas fini de parcourir les méandres complexes et capiteux.
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[…] Wilson a fait paraître son troisième album l’année dernière, le monumental Fanfare, dont on est loin d’avoir fait le tour et sur lequel on reviendra certainement dans ces […]
[…] cet album brillamment gargantuesque qu’est son Fanfare de 2013, « Fazon » affiche la facette la plus aérienne de ce diable de Jonathan Wilson. […]
[…] cet album brillamment gargantuesque qu’est son Fanfare de 2013, Fazon affiche la facette la plus aérienne de ce diable de Jonathan Wilson. Morceau […]