Après une pause de plus d’un mois (j’avoue avoir du mal à maintenir un rythme de publication régulier en ce moment), je poursuivrai ce soir avec la suite de mes désormais traditionnels tops annuels, sélections éminemment subjectives de dix albums pour chaque année depuis celle de ma naissance. J’aborde aujourd’hui un millésime de choix, tant 1993 représente à mes yeux une cuvée d’exception. Évidemment, le fait d’avoir été quasi contemporain de ces disques et le fait surtout que la plupart d’entre eux ait constitué des jalons fondateurs dans l’édification de ma culture musicale, influence sans aucun doute mon affection pour ces musiques. Toujours est-il que 1993 regorge de pépites et de joyaux pour lesquels je garde encore maintenant des yeux de Chimène. Un simple regard sur la liste des écartés permettra de situer le niveau de l’ensemble : le premier album des Tindersticks ou celui si précieux de Grant Lee Buffalo, In utero de Nirvana comme le deuxième Dominique A, ou bien encore le superbe Mobilis in mobile de L’Affaire Louis’ Trio célébré par ici tout récemment. Autant de disques de premier choix échoués aux portes de cette sélection, composée exclusivement de musiciens anglo-saxons, qu’ils viennent d’Irlande ou d’Australie, d’Écosse ou des États-Unis, à la notable exception de l’Islandaise Bjork. Tous ces disques – que j’écoute quasiment tous encore régulièrement – m’accompagnent depuis près de trente ans, compagnons indéfectibles d’une vie : peut-être en sera-t-il de même pour vous, si ce n’est pas déjà le cas…
Mélodies enchanteresses à la mélancolie tenace, harmonies haut de gamme et clairs-obscurs tremblés, le deuxième LP des Ecossais de Trash Can Sinatras mérite tous les superlatifs et vous inondera de toute la lumière que le groupe ne sut jamais attirer sur ses frêles épaules. Un trésor caché qu'on aime à partager.
Bravache et classieux, le premier album de Liz Phair demeure près de trente ans après sa sortie un album fondateur pour une génération de filles à guitares, revendiquant un point de vue féminin et féministe affirmé au centre de la "guyville" que constitue alors aux yeux de son auteure la scène rock chicagoane (et la scène indie-rock en général). Exile in Guyville est un grand disque de rock, à la fois brut et sophistiqué, d'une profondeur de champ imposante et d'une évidence brûlante, palpable à chaque écoute. Inépuisable.
Après les promesses semées par un premier album paru un an plus tôt, le groupe de Liverpool mené par le génial Martin Carr lâche les chevaux sur ce deuxième opus gargantuesque et débridé. Entre Love et My Bloody Valentine, shoegaze et pop aux idées larges, les Boo Radleys livrent un formidable disque de pop mutante, décoiffée et décoiffante, radioactive autant que roborative.
Premier album sous son nom pour l'Islandaise, après tant d'années à scintiller au milieu de collectifs plus ou moins talentueux, Debut révèle une personnalité et une créativité hors du commun, machine à danser autant qu'à penser, aussi cérébrale que sensuelle. Entre pop aguicheuse, électro frénétique et orchestrations bouleversantes, Bjork signait de fracassants débuts, annonciateurs d'une prodigieuse ascension.
Disque à la profondeur insondable, mariant folk, blues et psychédélisme enfumé, le deuxième album de Mazzy Star montre un groupe à son zénith, jouant une musique à la beauté ample dont on n'a pas fini d'essayer de percer le mystère. L’espace et le temps se dilatent et cette lenteur fascinante accouche de morceaux inoubliables, à l'élégance spectrale toujours inégalée.
Groupe le plus élégant du rock anglais depuis les Smiths, les Auteurs de l'atrabilaire Luke Haines délivraient avec ce New wave un des plus fantastiques disques de rock à guitares que l'on connaisse, dont chaque écoute semble encore rehausser la brillance et l'affolante élégance. Tendues, tenues et nerveuses, ces chansons superlatives évoquent autant les Kinks que Television et n'ont pas perdu une once de leur superbe, faisant paraître par contrecoup bien terne la majorité de la pop anglaise de la décennie. La classe, tout simplement.
Premier volet d'un passionnant diptyque paru en 1993, ce disque aux montagnes russes nous emmène plutôt vers les grands fonds, aussi splendides que mystérieux. Entre folk et slowcore, la torpeur dans laquelle baignent les chansons du groupe de Mark Kozelek irradie d'une lumière blafarde, à la beauté remplie d'échardes. Du coeur de ces morceaux douloureux nait une forme de grâce consolatrice qui n'a jamais cessé de nous accompagner depuis lors.
Depuis le fond de son Kentucky natal, un inconnu du nom de Will Oldham envoyait ce disque farouche et effrayant, nu et sans retour. Sur ce premier album d'une discographie aujourd'hui longue comme le bras, Oldham livrait 12 chansons en guenilles rassemblant des lambeaux de folk, de country, de blues et de musique celtique. Il livrait surtout un disque comme aucun autre, musique d'après la rage et le désespoir, consumée au moment même où elle apparaît et contre lequel on se blottit comme un enfant quand tout semble s'écrouler. Une musique qu'on ne partage pas, qu'on n'écoute pas à la légère mais dont la pauvreté apparente révèle au final des trésors infinis.
Huit ans après un premier album qu'on aurait cru unique, les Apartments alias l'Australien Peter Milton Walsh reparaissaient pour un nouveau miracle avec ce disque abrasif et intense, sur lequel chaque note semble engager la vie même de son auteur. D'un romantisme jamais cliché, les chansons de Peter Walsh brillent ici d'un éclat noir comme le diamant et d'une vitalité inextinguible. Un chef-d'oeuvre.
Sur ce disque en forme de classique instantané, l'Irlandais Neil Hannon atteint dès son deuxième album - après un premier en forme de brouillon - une sorte de perfection pop. Baroque et flamboyante, la musique de ce drôle de zig mêle audace et sophistication, maîtrise et candeur, distanciation et justesse, dans un équilibre inouï pour un album réellement et définitivement libérateur.