Mes amours francophones : 130-121
130. Silvain Vanot Aux heures vagabondes (2002)
Après s’être fait connaître au début des années 1990 avec deux premiers albums de folk-rock âpre et tendu, Silvain Vanot laissa peu à peu sa musique gagner en amplitude en y faisant entrer davantage d’air et de lumière. Le bonhomme finit par atteindre une forme de plénitude sur son bien nommé Il fait soleil de 2002, sur lequel, parmi d’autres bijoux, scintille cette chanson qu’on dirait découpée à même la matière d’un crépuscule d’été. La chanson avance sans hâte, dans une sorte de sérénité brillante. La guitare dessine des arpèges autour desquels s’enroulent de somptueux arrangements de cordes et de vents et on s’imagine cheminant à pas lent sous les frondaisons, le soleil s’évanouissant lentement en laissant derrière lui des guipures de lumière accrochées aux branchages.
- Aux heures vagabondes
- Et aussi : Mary ville morte
- Bonus : « L’aspiration au bonheur de Silvain Vanot », article paru dans La libre Belgique à l’époque de la parution de l’album Il fait soleil
129. Bertrand Belin Neige au soleil (2010)
C’est une chanson caillouteuse, sur laquelle les mots directs de Bertrand Belin paraissent trébucher. Une guitare et un piano ouvrent le chemin, un sentier de campagne descendant vers une route et sur ce sentier, le garçon court derrière la jeune fille, qui rit de se laisser courser dans l’air chaud. A 1’16, le garçon se fait la promesse de Julien Sorel dans Le rouge et le noir, celle de saisir la main de la jeune fille qui court et c’est alors que tout flamboie par la grâce d’une montée de cordes tendues droit vers le ciel. A la fois minérale et lumineuse, Neige au soleil brille comme une évidence belle et cahoteuse.
- Neige au soleil
- Et aussi : Ruine
- Bonus : la (belle) critique de l’album Hypernuit par Benjamin Fogel sur Playlist Society
128. Benjamin Biolay & Jeanne Cherhal Brandt rhapsodie (2009)
Sur son triomphal et justement célébré La superbe (même s’il n’est sans doute pas mon album préféré du bonhomme), l’autre BB sexy de la chanson d’ici place ce formidable duo qui dresse en moins de cinq minutes la radiographie d’un amour, de sa naissance à son naufrage. Sur un socle musical réussissant à bâtir une progression dramatique d’une grande intensité avec une impeccable économie de moyens, Biolay et Cherhal déroulent le fil d’une trame narrative géniale, à savoir raconter l’histoire d’un couple à travers les post-it que chacun laisse à l’autre sur le frigo. Chaque effet dévoile la mécanique implacable de cette chronique d’une mort annoncée, de la rythmique hip-hop au tintement d’une boucle de piano en passant évidemment par l’imperturbable ping-pong verbal joué par les deux interprètes, d’une imparable maîtrise. En plus de régler ses comptes en sous-texte avec une forme de chanson française «du quotidien » qu’il relègue à des années-lumière, Brandt rhapsodie figure un impitoyable conte cruel du quotidien.
- Brandt rhapsodie
- Et aussi : Profite (en duo avec Vanessa Paradis)
- Bonus : Benjamin Biolay en interview dans les Inrocks lors de la sortie de La superbe
127. Taxi Girl Les armées de la nuit (1981)
OVNI rouge et noir naviguant entre pop-punk, new-wave et romantisme pop exacerbé, Taxi Girl demeure une sorte de diamant sombre du rock français, une figure mythique dont l’aura teintée de dandysme morbide continue de fasciner. Si je préfère – et connais mieux – l’œuvre ultérieure de Daniel Darc en solo, la musique de Taxi Girl distille un charme toxique puissamment addictif. Ainsi ce morceau, ouverture glorieuse de leur légendaire et unique album Seppuku, évoque un monde de vampires tourmentés, à jamais maudits par l’arrivée du jour. Le chant spectral de Daniel Darc se pose sur une mélodie irrésistible aux claviers, et le morceau s’élève encore le temps d’un final magistral où piano, claviers, guitare et basse déploient un lyrisme tendu et passionné absolument magnifique.
- Les armées de la nuit
- Et aussi : Les damnés
- Bonus : Seppuku par le remarquable Francis Dordor
126. Dick Annegarn Orbre (1997)
Disque du come-back du grand escogriffe hollando-belge, Approche-toi est surtout un des plus beaux albums en français parus durant ce dernier quart de siècle, un vrai disque de variété au sens le plus fort du terme. Plusieurs de ses titres mériteraient de figurer dans ce classement – et deux d’ailleurs y parviennent – mais c’est d’abord cet Orbre – mot-valise saupoudrant l’arbre de poussière d’or – pour lequel j’avouerai mon amour. Sublimée par les merveilleux arrangements ciselés par Joseph Racaille, où cordes et cuivres semblent dresser la table pour le plus fastueux des banquets, Annegarn dévide sa poésie solaire et nous lance une forme de défi, celui d’aller chercher la beauté où qu’elle soit, en nous et au-dehors. C’est peu dire que lui-même remplit ici sa part de ce si séduisant programme.
- Orbre
- Et aussi : Rabbi Jésus
- Bonus : Dick Annegarn en interview chez les excellents Popnews en 2014
125. Alex Beaupain Brooklyn Bridge (2007)
La bande originale du – fantastique – film de Christophe Honoré, Les chansons d’amour, a la particularité d’être intégralement interprétée par les acteurs du film, sauf un titre, ce Brooklyn Bridge qu’Alex Beaupain jugeait sans doute trop personnel pour être confié à d’autres que lui. Bouleversante bande-son d’une poignante scène de fiction, Brooklyn Bridge est aussi une déchirante confession autobiographique délivrée avec une retenue qui serre la gorge. Il n’est pas besoin de savoir tout cela – que j’ignorais pour être franc jusqu’au soir où j’écris ces lignes – pour fondre devant cette ballade piano-voix d’un classicisme parfait, comme suspendue au-dessus du vide incommensurable de l’absence. Une chanson contre laquelle on se blottit, en serrant fort contre soi ce que la vie a bien voulu nous accorder et avec une profonde empathie pour celles et ceux que la perte afflige.
- Brooklyn Bridge
- Et aussi : Delta Charlie Delta
- Bonus : très émouvant portrait d’Alex Beaupain, « Les chansons d’à mort» paru dans Libération le 9 février 2009 sous la plume de Grégoire Biseau
124. Charles Aznavour La bohème (1965)
Qu’ajouter de pertinent sur un pareil classique ? Que dire d’une chanson qui a marqué à ce point la culture populaire et la conscience collective, et qu’on fredonnera sans doute encore dans cent ans ? Co-écrite avec Jacques Plante, La bohème était à l’origine destinée au chanteur d’opérette Georges Guétary avant qu’Aznavour, plus ou moins poussé par sa maison de disques (mais plus sûrement conscient de tenir là quelque chose d’unique), ne l’enregistre et n’en fasse un élément clé de sa légende. Il y a cette ouverture au piano, il y a l’apostrophe initiale à la déroutante musicalité qui conduit l’auditeur à une immédiate empathie avec la confession qu’on lui livre. Il y a ces vers restés dans les mémoires, il y a cette mélancolie solitaire et un poil surannée, ces touches de romantisme XIXe siècle, cette tournure de valse qui conclut le morceau, le mouchoir systématiquement sorti à chaque concert pour l’interpréter. Il y a toutes ces choses inexplicables et indicibles qui font qu’une chanson traverse les époques pour aller s’ancrer en nous sans même qu’on se souvienne l’avoir très souvent écoutée.
- La bohème
- Et aussi : Et pourtant
- Bonus : Aznavour raconte La bohème dans cette vidéo qu’on trouve sur le site du Grand Palais
123. Dominique A Par l’Ouest (2006)
« L’amour viendra par l’Ouest, comme un cri cherche une bouche » : difficile d’imaginer plus bel incipit, qu’on pourra ressasser sa vie durant en regardant se coucher le soleil. En 2’39, Dominique A évoque avec une justesse bouleversante la beauté et l’égarement, la lumière et l’intranquillité, tout ce qui nous enveloppe et nous vrille dans l’amour. La production crée une incroyable sensation d’intimité, la voix de Dominique A semblant vraiment chanter au creux de nos oreilles tandis que la guitare et l’orgue dessinent d’insaisissables motifs en arrière-plan. Un frisson nous parcourt l’échine tandis qu’à l’Ouest, le soleil disparaît dans un halo rosé.
- Par l’Ouest
- Et aussi : J’ai tué l’amour
- Bonus : « Dominique A. Un chanteur à l’ouest », un article de 2015 signé Jérôme Lourdais sur la récurrence du motif de l’ouest dans les chansons de Dominique A, article paru dans Ouest-France évidemment
122. Brigitte Fontaine Dommage que tu sois mort (1968)
Ma connaissance de la discographie de Brigitte Fontaine est assez inégale et j’ai plus écouté ses disques récents que ses classiques des années 1960-1970, dont je n’ai en fait pour l’heure attraper que des morceaux – mais quels morceaux ! Parmi eux, ce Dommage que tu sois mort d’abord découvert par la relecture – réussie – qu’en fit Daho en 1992. L’original le dépasse néanmoins de plusieurs coudées, entre la musique d’Olivier Bloch-Lainé, les arrangements somptueux de Jean-Claude Vannier et l’interprétation toute de pureté grinçante de Brigitte Fontaine. L’ironie du texte est bien la politesse d’une forme de désespoir et son chant prend des inflexions évoquant la froide blancheur d’une Nico. Les orchestrations grandioses du morceau le rapprochent d’ailleurs d’un autre membre honoraire du Velvet Underground, tant cette majesté grand siècle semble annoncer la magnificence du Paris 1919 de John Cale.
- Dommage que tu sois mort
- Et aussi : en duo avec Jacques Higelin, Cet enfant que je t’avais fait
- Bonus : l’album Brigitte Fontaine est… ? inaugurait le formidable label Saravah de Pierre Barouh, comme vous l’explique Bertrand Dicale ici
121. Michel Polnareff Le bal des Laze (1968)
Polnareff et moi, ça n’a jamais accroché. Sans trop savoir pourquoi, je n’ai jamais su percevoir en lui le génie dont des plumes aux goûts sûrs me vantaient pourtant les mérites. Sauf pour Le bal des Laze… Chef-d’œuvre baroque, avec son orgue à la Procol Harum, Le bal des Laze déploie son romantisme morbide en une lente procession funèbre à la beauté glaçante. En s’entourant d’un décorum pourtant chargé, Polnareff n’a paradoxalement jamais paru si nu et émouvant, semblant laisser entrevoir sur ces presque cinq minutes un peu de la noirceur qui l’habite en interprétant le meurtrier désespéré de la chanson. Écrit par un Pierre Delanoë que Polnareff poussa dans ses derniers retranchements, le morceau suscita l’effroi des diffuseurs qui lui préférèrent le ridicule Y’a qu’un cheveu de la face B, suscitant la rage d’un Polnareff ulcéré de voir son chef-d’œuvre ainsi négligé.
- Le bal des Laze
- Et aussi : Qui a tué grand’ maman ?
- Bonus : « Le bal des Laze trahi par sa face B », un article de 2007 de Bertrand Dicale qui raconte l’histoire du morceau
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