Un bref moment d’héroïsme
Fontaines D.C. A hero’s death (2020, Partisan Records)
Alors que vient de paraître le troisième album des Irlandais, le très attendu Skinty fia, je reviendrai ce soir sur le deuxième LP des Fontaines D.C., fidèle à ma propension à laisser décanter les nouveautés. Le premier essai des Dublinois, le percutant Dogrel, avait imposé le groupe mené par le ténébreux Grian Chatten au rang de nouvelle sensation rock, à raison tant ce premier opus s’avérait une vraie réussite, tendue et vibrante à souhait. Les Irlandais étaient donc attendus au tournant et toutes les options semblaient possibles, du plantage majeur à la révolution majuscule. S’ils ne pencheraient finalement pour aucun de ces extrêmes, les Fontaines D.C. passaient avec brio l’épreuve du deuxième album, relevant la gageure de gagner en profondeur de champ sans perdre l’urgence et la tension qui habitaient leurs premiers morceaux.
Sink as far down as you can be pulled up / Happiness really ain’t all about luck / Let your demeanour be your deep down self / And don’t sacrifice your life for your health / When you speak, speak sincere / And believe me friend, everyone will hear
A hero’s death
Enregistré en quelques mois à peine achevée la tournée suivant la parution de Dogrel, A hero’s death apporte son lot de variations bienvenues aux pistes embrasées par son brûlant prédécesseur. S’il s’autorise encore des cavalcades fumantes creusant leur sillon à la foreuse électrique (Televised mind), le groupe répugne plus souvent aux lignes droites et privilégie les courbes et les à-plats, les décélérations et les respirations. Les influences post-punk mises en valeur sur Dogrel restent présentes mais le groupe démontre que son panel est plus large et s’étend à bien d’autres courants du rock ou de la pop. Le chant de Grian Chatten, avec cet accent irlandais si particulier, constitue toujours un point d’attraction majeur, un signe distinctif marquant qui ne saurait cependant masquer les autres atouts du groupe. Soutenues par une section rythmique jouant à plein son rôle de force motrice, les guitares se font tour à tour atmosphériques ou abrasives, coupantes ou enveloppantes. Et la poésie oblique de Chatten disperse les formules qui font mouche (comme ce « Life ain’t always empty » répété le long de A hero’s death le morceau). Au final, l’ensemble dégage une impression de densité et d’unisson bluffante qui confère au groupe un magnétisme de premier ordre et, si l’écoute de A hero’s death nous fait penser à beaucoup de musiques aimées, le groupe peut afficher une personnalité qui le rend unique.
I heard him serving as a soldier / In the annexe of the earth / Threw himself before a bullet / And threw the medal to the dirt / Hear the man’s word
I don’t belong
Le long des onze morceaux composant cet album, les Fontaines D.C. explorent différentes facettes du rock électrique, privilégiant les coins où la lumière ne pénètre que tamisée ou jaillit en zébrures orangées. L’album s’ouvre ainsi avec la gravité ample mais sans emphase du formidable I don’t belong avant de poursuivre avec un Love is the main thing obsédant et pénétrant, tout en tension intérieure. Au fil du disque, les Fontaines D.C. s’en vont naviguer dans les eaux bouillonnantes d’un certain rock new-yorkais, entre les distorsions rougeoyantes de Televised mind (coucou, Sonic Youth) et l’intensité toute velvétienne du percutant I was not born. Le morceau-titre débaroule en chute de pierres sur les traces du post-punk anthracite du premier album, Grian Chatten débitant une litanie de préceptes comme autant de slogans publicitaires rendus menaçants par la force de la répétition. Le groupe nous offre enfin une poignée de ballades à la beauté crépusculaire, à commencer par le formidable Sunny, évoquant quelque chose comme une chanson des Beach Boys repêchée dans les eaux polluées d’un port irlandais. Ailleurs, le magnifique You said semble se relever hébété d’un choc violent. Le disque se clôt sur un No à la fragilité de ver luisant, éclairant la nuit de sa lueur tremblante sans qu’on sache s’il finira par s’éteindre ou embraser le ciel.
Into a dream I was tilted / Into a dream I fell / Suddenly my life’s gone easy / Where I was I can’t tell
Sunny
Avec A hero’s death, Fontaines D.C. confirmait qu’il allait falloir compter avec lui plus que le temps d’un album. Mes premières impressions de leur tout récent Skinty fia laissent à penser que le groupe n’est pas encore résolu à tourner en rond.