Le fou et l’enfant
Daniel Johnston Fun (1994, Atlantic)
A partir du milieu des années 1980, le petit monde du rock alternatif américain s’agite autour d’une poignée de cassettes enregistrées à la maison par un drôle de bonhomme aux neurones passablement grillées et au surpoids évident. Basé à Austin, Texas, Daniel Johnston suscite alors l’admiration de la fine fleur de l’underground US, de Nirvana à Sonic Youth en passant par Sebadoh. La légende de Johnston s’alimente malheureusement d’autres affluents que sa seule œuvre musicale; souffrant de graves troubles mentaux, Johnston alterne alors enregistrements et séjours à l’HP, et un voyeurisme glauque a vite fait d’en faire le cousin de camisole de Brian Wilson ou Syd Barrett, autres grands cramés du ciboulot de la mythologie rock. Un certain romantisme rock imbécile s’empressera de conférer à cette folie mortifère un halo presque glamour, occultant la souffrance qu’elle peut représenter pour celui qui la vit.
Je ne connais pas l’œuvre antérieure et ultérieure de Johnston, mais ce Fun de 1994 suffit à l’asseoir comme un songwriter de grande valeur. Assisté par le Butthole Surfer Paul Leary, Johnston livre ici une musique extrêmement touchante, un art naïf naviguant entre pop, folk et rock au gré de ses sautes d’humeur mais dénué de toute pose et de tout cynisme. On a parfois la curieuse impression d’écouter les confessions d’un enfant prisonnier de l’esprit malade d’un homme de 35 ans, Johnston se livrant avec une honnêteté confondante sans jamais tomber dans l’exhibitionnisme malsain. Sur cet album, Daniel Johnston figure une sorte d’idiot dostoievskien, qui voit ce que les autres ne voient pas et nous met sous le nez nos faiblesses et nos bassesses. Il est beaucoup question d’amour dans les chansons de Daniel Johnston, amour idéalisé (“Love will see you through / It’s got to make things new”) auquel notre bonhomme s’accroche coûte que coûte même s’il n’en voit que très rarement la couleur, amour fou comme l’indiquent les titres de ces chansons, de Crazy love à Silly love. Johnston ayant des goûts très sûrs, il est aussi question de super-héros, de monstres en plastique, de sucreries et de rock and roll.
Le disque est inégal, Johnston ayant parfois tendance à ne pas trier entre brouillons et chefs-d’œuvre, déversant tout d’un bloc aux oreilles de l’auditeur, mais contient suffisamment de grandes chansons pour rendre jaloux bien des aspirants songwriters. Des titres comme le bouleversant Life in vain, le superbe Mind contorted ou le génial Lousy weekend s’imposent comme autant de classiques instantanés, présentant un étonnant mélange de joie et de tristesse, d’innocence et de désarroi dans un registre folk acoustique de la plus belle eau. Johnston s’offre aussi une jouissive déflagration rock avec le final Rock’n’roll/Ega et se montre magnifiquement à l’aise sur le primesautier Love will see you through joué au piano. La voix aiguë et ébréchée de Johnston ajoute encore à cette douce impression de candeur qui enveloppe les 18 morceaux de l’album. Drôle d’album assurément qui nous fait sourire et pleurer dans le même mouvement.
Comme je l’écrivais plus haut, je n’ai pas eu l’occasion d’écouter d’autres disques de Daniel Johnston, qui continue à publier régulièrement.
Ci-joint une excellente animation trouvée sur Youtube autour de Lousy weekend, signée Morganenosfilms.
2 réponses
[…] White démontre qu’il est un excellent chanteur et me remémore certains morceaux naïfs de Daniel Johnston. Le groupe devient encore plus passionnant quand il montre les dents comme sur le furieux et […]
[…] un précieux trésor caché de ma discothèque, auquel j’avais d’ailleurs consacré quelques lignes dans ces pages. Parmi les nombreux articles hommages, on retiendra par exemple celui rédigé par le toujours […]