Je n’ai plus guère l’habitude de fréquenter des concerts, essentiellement de par la conjonction de trois éléments : la vie à la campagne, un premier enfant et un deuxième enfant. Mais je sais reconnaître un évènement exceptionnel quand j’en vois un et je daigne alors sortir de ma retraite.
Quand fut annoncée en 2009 une tournée française de Peter Milton Walsh et que celle-ci faisait de plus l’effort de passer à une trentaine de kilomètres de chez moi, je ne pouvais décemment pas manquer l’occasion, tant les disques des Apartments ont compté (et comptent encore) pour moi. Aussi, quand Emmanuel Tellier, infatigable promoteur du groupe australien et déjà instigateur des concerts de 2009, entreprit de lancer un projet de tournée française via un site de crowdfunding, il me sembla évident d’apporter ma modeste pierre à l’édifice et de me donner du même coup la chance d’assister à un concert des Apartments en formation. C’est donc avec une vive excitation que j’attendais ce lundi 3 décembre et ce concert parisien. Mon attente ne fut évidemment pas déçue, Peter Walsh étant toujours ponctuel aux rendez-vous de l’excellence.
Je n’ai pas encore eu l’heur de consacrer ici un billet à l’un ou l’autre des albums des Apartments. J’y viendrai sans doute un jour, le tout étant de se résigner par avance à ne pas trouver des superlatifs qui sauraient convenablement exprimer la beauté sans égale de ces chansons, tout ce que peuvent m’évoquer The evening visits…, Drift, A life full of farewells, Fête foraine ou Apart.
Dans le superbe cadre du théâtre des Bouffes du Nord (il fallait bien un monument historique pour l’occasion), nous étions ainsi quelques centaines à venir retrouver quelqu’un qui pour nous tous était particulier. Après une première partie emballante assurée par les très bons 49 Swimming Pools de M. Tellier lui-même (Emmanuel, pas Sébastien), les Apartments entrèrent en scène. Aux côtés de Peter Walsh, on retrouvait le guitariste Wayne Connolly, le batteur Nick Allum, deux éléments « prêtés » par les 49 Swimming Pools : Fabien Tessier (claviers) et Samuel Léger (basse) et, cerise sur le gâteau, la formidable Amanda Brown, ex-membre des merveilleux Go-Betweens. En costume-cravate, lunettes noires vissées sur le visage et un brin échevelé, Walsh conduisait l’ensemble, et l’on n’avait d’yeux que pour lui.
Alors que retenir d’un pareil moment ? La set-list se baladait entre les différents albums du groupe, sans oublier les singles étincelants semés au fil du parcours chaotique de l’Australien, de All you wanted qui ouvrait le set au petit dernier Black ribbon. Parmi cette collection de joyaux, les morceaux de Drift ont me semble-t-il brillé d’un éclat encore plus intense, la folle intensité de ce disque immense jaillissant en gerbes brûlantes sur de fantastiques versions de What’s left of your nerve et The goodbye train. Spectacle étonnant d’ailleurs sur ce dernier morceau, Walsh commettant plusieurs faux départs avant de finalement s’élancer pour une interprétation incandescente, sous le regard admiratif et teintée d’un brin d’inquiétude d’une Amanda Brown épatante, sorte d’ange gardien flanquant Walsh de sa douceur sereine, contrastant avec la tension palpable qui l’habitait lui. On avouera sans peine que les larmes nous montèrent aux yeux plusieurs fois, la force et la beauté de certains titres nous remuant comme toujours. L’émotion aussi de voir cet homme debout après tant d’années de sommets artistiques, d’insuccès publics et d’abîmes personnels. L’émotion aussi de voir Amanda Brown, comme si la pochette de l’adoré 16 lovers lane des regrettés Go-Betweens avait pris vie devant nous.
Au final, je ne saurais même pas dire combien de temps joua le groupe exactement. Une chose est sûre, j’aurais pu l’écouter encore longtemps, écouter tous les titres qui figuraient dans ma playlist rêvée, ces Lazarus, ces She sings to forget you, ces The black road shines et ces Nothing stops it. J’attendis quelque peu après le concert la venue de Peter Walsh, je le vis brièvement mais n’osai pas aller lui parler, tout me semblait avoir été dit pour moi. Je repartais finalement sous la pluie parisienne avec au cœur un beau souvenir, et en tête ces quelques mots qui concluent Everything’s given to be taken away, jouée en toute fin de concert : « I’m in the same night as you ». Sa présence est précieuse.