Le vaisseau fantôme
Smog The doctor came at dawn (1996, Domino/Drag City)
Dans la discographie tourmentée de Smog (alias Bill Callahan), The doctor came at dawn suit chronologiquement Wild love et surtout le formidable EP Kicking a couple around qui posait d’impressionnante manière les jalons de la nouvelle inclination musicale de Callahan. Chaque disque de Smog peut s’écouter comme un reflet assez précis de l’état moral de son leader: à la psyché tourmentée et chaotique de Wild love succède ici une acoustique blafarde et une tonalité dépressive encore plus marquée. L’auditeur se retrouve ici en pleine ère glaciaire, embarqué dans les mers froides par le vaisseau fantôme représenté sur la pochette. La mer est calme et étale, le silence est partout, la vie existe en profondeur où s’ébattent de méchants requins. Chaque chanson semble ainsi jouée au ralenti, les doigts gourds comme saisis par l’onglée. Smog franchit ici un pas supplémentaire vers un dépouillement quasi monacal: les chansons sont construites autour de quelques accords répétitifs joués sur une guitare acoustique blafarde, le tout miné épisodiquement par un violoncelle, un piano ou quelques nappes de claviers.
Smog nous entraîne avec lui vers le fond et se fait sur ce disque le chroniqueur acide de la difficulté d’aimer, des couples qui se frôlent sans se rencontrer. You moved in nous montre ainsi un Callahan toujours aussi acide, sachant manier parfaitement l’auto-dérision dépréciative sans pleurnicher une seule seconde: « You moved in / To my hotel / You could have done better / But oh well ». Bill Callahan se livre à une autopsie clinique des rapports malaisés entre un homme et une femme et c’est bouleversant. Lize, enrichi des chœurs de Cindy Dall, peut se lire comme une dispute neurasthénique au sein d’un couple peu à peu usé par le temps (« You don’t make lies like you used to / You used to pay more attention to details » ). Parfois Bill Callahan secoue la poussière de ses humeurs et délivre des chansons brinquebalantes et malades qui ne manquent pas de serrer le cœur comme Whistling teapot. Et puis, au milieu de l’album, il se permet un chef-d’œuvre pervers et enamouré, cet incroyable All your women things où il énumère maladivement les affaires laissées par une femme dans son appartement tout en laissant transparaître son désespoir et son impuissance, presque incidemment, et le résultat est gigantesque: « Why couldn’t I have loved you / This tenderly / When you were here / In the flesh ».
The doctor came at dawn apparaît comme le zénith de la courbe dépressive de l’œuvre de Smog, Bill Callahan excellant dans la description des amours en cendres. Peu à peu son univers se réchauffera et ses albums suivants se pareront de plus en plus de couleurs. On y revient tout de suite.
5 réponses
[…] (mais splendide) Wild love, Bill Callahan traversa une imposante phase de glaciation (cf The doctor came at dawn), dont il commença de ressortir avec le magnifique Red apple falls de 1997. Alors que sa musique […]
[…] comme un des groupes les plus touchants de son époque. Après les formidables Wild love (1995) et The doctor came at dawn (1996) dont il a déjà été question ici, Red apple falls constitue à mon sens un premier acmé […]
[…] sommet Wild love) qui le conduira jusqu’à une forme de glaciation sidérante et magnifique (The doctor came at dawn et l’extraordinaire EP Kicking a couple around), Callahan entreprit peu à peu de laisser la […]
[…] confirmer ses talents de songwriter et son particularisme. Il produira deux chefs-d’œuvre avec The doctor came at dawn en 1996, qui pousse à bout son esthétique du peu puis Red apples fall en 1997 où sa musique […]
[…] (mais splendide) Wild love, Bill Callahan traversa une imposante phase de glaciation (cf The doctor came at dawn), dont il commença de ressortir avec le magnifique Red apple falls de 1997. Alors que sa musique […]