Blues trottoir

Pavement Brighten the corners (1997, Domino)

Deux ans après un Wowee zowee d’une sublime incohérence, geste monstrueux et insolent délivrant d’un même mouvement chansons avortées, chausses-trappes et coups de génie, nous nous demandions où allait nous emmener le meilleur groupe de l’époque au moment de la parution de ce quatrième opus. Allions-nous retrouver les paysages éclatants et les nuages célestes de Crooked rain crooked rain ou bien les territoires plus accidentés de Slanted and enchanted et Wowee zowee  ? Nous savions à tout le moins deux choses : nous serions surpris et ne serions pas déçus.

You better find a way out / You better learn how to run / You better walk away and leave the angles to the shills

Transport is arranged

Après l’incroyable capharnaüm de Wowee zowee, la bande de Stephen Malkmus affichait encore une fois son goût pour le contre-pied avec Brighten the corners. Devenu en cinq ans le symbole de la coolitude et de l’esprit indie-rock ainsi qu’un formidable générateur d’enthousiasme et de joie, le groupe mettait ici sous le boisseau ses tendances potaches pour recouvrir sa musique d’un magnifique manteau bleu nuit. Sur Wowee zowee, Pavement avait déjà laissé apparaître d’impressionnantes fêlures, d’inquiétants dérapages laissant deviner un envers moins jovial que son habituel visage rigolard, un côté obscur que l’éternel sourire en coin de son leader ne parvenait pas à masquer. Sur Brighten the corners, la mélancolie est partout et cet appel à « éclairer les coins » ne fait que souligner que l’obscurité a rempli le reste de la pièce.

Embrace the senile genius / Watch her reinvent the wheel

Old to begin

Bon, il ne faudrait pas non plus induire le béotien en erreur et Brighten the corners ne sonne pas comme du Joy Division. Pavement garde sous la main quelques réserves d’excitation et conserve intacte sa capacité à composer d’irrésistibles hymnes pop merveilleusement biscornus. On pense bien sûr au pétaradant Stereo qui ouvre l’album, à ce Shady lane qui baguenaude un brin d’herbe au coin des lèvres. On pense surtout d’une part au génial Date W/ Ikea ou comment faire un morceau magistral en chantant comme un pot de chambre, d’autre part à l’exceptionnel Passat dream (quel titre encore !) et ses « ouh ouh ouh » diaboliques qui mériterait d’être remboursé par la Sécurité Sociale pour ses effets contre la déprime. On verra cependant un signe à ce que ces deux derniers titres aient germé dans l’esprit de Scott Kannberg et non dans celle de Malkmus qui en cède également l’interprétation. Car la tête pensante du groupe semble avoir l’esprit bien embrumé. De Transport is arranged au lumineux Infinite spark final, les compositions de Malkmus suintent la mélancolie, ayant troqué cette fois les plumes pour le goudron. Et malgré cela, elles finissent par décoller.

Open call for all prison architects / Send the blueprints a.s.a.p / Stack the walls such that I cannot breathe (Infinite spark)

Infinite spark

On ne sait toujours pas plus de quinze ans après quelle mouche avait piqué Malkmus mais le garçon semble ici perclus de lassitude, la tête ailleurs, les yeux dans le vague. Cependant, privilège du talent, cette mélancolie élève plus qu’elle ne plombe, s’insinue dans nos tympans et s’avère diablement addictive. La dérive quasi-circulaire de Type slowly ou Transport is arranged se révèle fascinante tandis qu’avec We are underused, Pavement s’essaie à traduire dans son langage ce qui pourrait être un slow, pour un résultat plus psychotique que romantique. Et c’est en fin d’album que tout s’illumine, avec l’enchaînement de la doublette en lévitation Starlings of the slipstream / Infinite spark : les papillons noirs qui hantent l’album s’envolent, l’obscurité se déploie au lieu de s’abattre pour s’en aller danser un somptueux ballet avec les lumières allumées par le groupe et c’est proprement bouleversant. Plus simplement, et aux yeux d’un fondu du groupe comme moi, Infinite spark fait certainement partie des 10 meilleures chansons de Pavement.

I heard what you said / The leaders are dead / Now they’re robbin’ the skies / You can hear the followers cry

Starlings of the slipstream

Déroutant comme souvent, aujourd’hui un brin sous-estimé, Brighten the corners est un disque qui mérite d’être redécouvert. Loin de montrer un Pavement sur le déclin, il offre à voir un groupe qui se réinvente en changeant d’humeur et qui étale toute sa richesse et toute sa complexité. Un très grand groupe tout bonnement.

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