Poursuivons ce lent compte à rebours musical, jeu un peu idiot mais addictif consistant à vous proposer une sélection de dix albums par an depuis mon année de naissance. La sélection d’aujourd’hui nous ramènera pile 30 ans en arrière et il est fort probable, en ces temps de commémorations incessantes, qu’une bonne partie de ces disques sera célébrée cette année, certains feront même peut-être l’objet de rééditions, augmentées ou non. Avec l’année 1992, on se rapproche des années où mes goûts de l’époque vont commencer à ressembler à mes goûts d’aujourd’hui, mais on n’y est pas encore. Aucun des disques mentionnés ci-dessous n’a tourné en boucle sur ma platine à l’époque, quand je consacrais encore l’essentiel de mes cassettes à enregistrer le tout-venant passant à la radio, ce qui permit quand même à un groupe comme R.E.M. de marquer ma jeunesse. Pour être honnête, certains des disques figurant dans ce classement constituent même des découvertes assez récentes, tandis que quelques-uns m’accompagnent depuis un bon quart de siècle. Mais foin de ces considérations oiseuses, contentons-nous de constater que le millésime 1992 tient sacrément bien la route, avec au moins cinq albums que je qualifierais de majeurs. Les Anglo-Saxons continuent à se tailler la part du lion mais c’est une jeune Anglaise et un premier album qui domine le paysage. La France s’offre un strapontin avec le premier LP fondateur de Dominique A, même si Noir Désir avec Tostaky et les Innocents avec Fous à lier n’étaient pas loin du compte. Et le hip-hop s’offre aussi une incursion avec l’incontournable The chronic de Dr. Dre. Mais bon, pas besoin de spoiler, le mieux est de vous laisser aller à remonter ce classement – et n’oubliez pas de cliquer sur les titres des albums pour écouter un extrait.
Formation (trop) méconnue de la scène alternative US, les Vulgar Boatmen livrent, sur ce deuxième album – comme sur leur précédent – une musique humble et ouverte, aussi subtile qu’urgente. On pense à la nervosité bucolique des Feelies ou de certains albums de R.E.M. et on cède sans coup férir à la fausse simplicité de ces chansons impeccables, rustiques et lettrées.
En pleine poussée de fièvre amoureuse, Suzanne Vega se défait ici des habits un peu austères qui enserraient sa musique et entreprend de caresser son folk à rebrousse-poil pour le faire ronronner de façon plus troublante. Sismique et sensuelle, la jeune femme prend un plaisir communicatif à parsemer ses chansons d’accidents et de chausse-trapes, n’hésitant pas à dissimuler épines et verre pilé sous un tapis de roses rouges. Pour paraphraser NTM, elle « nous met la fièvre » et on en redemande.
Même si ma culture rap est extrêmement limitée, difficile de passer à côté de ce disque qu’on reçoit encore trente ans après comme une grande claque. Basses ventrues et claviers ondoyants accompagnent le flow dévastateur et enfumé de Dre et Snoop Dogg qui posent les bases d’une révolution stylistique dont l’impact a pu se mesurer encore tout récemment à la mi-temps du Super Bowl.
Avec la même constance dans l’excellence démontrée depuis au moins EVOL, le quatuor new-yorkais continue ici d’arpenter les paysages brûlés d’un rock non-conformiste, entre éruptions bruitistes et coulées de lave mélodiques. Dans la production foisonnante du groupe, Dirty n’arrive sans doute pas en tête de liste mais témoigne 30 ans après de la fascinante créativité de ce turbulent quartet.
Sorte de sequel à son classique Harvest paru 20 ans auparavant, Harvest moon voit Neil Young renouer avec une veine country-folk à prédominance acoustique, laissant de côté les détonations électriques de Ragged glory. Le Canadien livre surtout ici une de ses plus belles collections de chansons depuis longtemps, où la sagesse n’est jamais pontifiante et où la sérénité côtoie l’éternelle intranquillité du bonhomme. Forever Young…
Seul dans sa chambre nantaise, un jeune homme de 23 ans, amateur de BD et de rock indé, ouvrait paradoxalement un courant d’air salvateur dans les couloirs moisis d’une chanson française en voie de momification. Le minimalisme de La fossette ne fait que souligner la richesse de son propos et d’en révéler les inépuisables trésors, de la brutalité coupante de Va-t’en à la mélancolie synthétique du Courage des oiseaux. La chanson d’ici se trouvait une figure de proue et beaucoup y trouveront un compagnon pour la vie.
Slanted and enchanted ou les débuts en fanfare du plus grand groupe des années 1990 soit une collection de chansons brillantes, brouillonnes, électrisantes, énergisantes, irradiantes, morveuses et inventives. 40 minutes de montagnes russes, d’accélérations épiques, de détonations explosives et de nonchalance cossarde ; bref, 40 minutes de bonheur.
Avec Ting, les précieux Hollandais livraient un disque réellement inestimable, dont chaque écoute semble figer le temps et l’air alentour. Un album qui impose le silence et qui en joue, d’une musicalité suprême et d’une infinie beauté, un véritable disque de chevet qu’on chérit comme un trésor.
Exemple pas si fréquent de la conjonction d’une forme d’achèvement artistique et commercial, Automatic for the people demeure sans aucun doute le plus imposant chef-d’œuvre du groupe. C’est surtout une collection de chansons bouleversantes, un merveilleux disque de deuil et de consolation, évoquant autant la perte que l’apaisement avec une justesse sans pareille.
Rarement aura-t-on entendu disque aussi impressionnant, manifeste pétri de colère et de frustration marquant la révélation tonitruante d’une voix hors normes sur le devant de la scène rock. D’une intensité sans égale du début à la fin, Dry révèle une songwriter de premier ordre, jeune femme de 22 ans lâchant à la face du monde ses désirs bridés, sa sexualité crue, ses fêlures et ses tourments avec une poigne et une force expressive sans pareilles. Une sécheresse brute d’où jaillira un torrent de promesses.