Les poches pleines
Trash Can Sinatras A happy pocket (1996, Go ! Discs)
C’est l’écoute de la dernière émission en date de l’excellent Label Pop de Vincent Théval sur France Culture qui m’a donné envie de me replonger dans la discographie – du moins ses débuts pour être précis – des Écossais de Trash Can Sinatras. Pour être honnête, j’y reviens fort régulièrement, n’étant pas homme à me lasser des belles choses de la vie. Mes fidèles lecteurs se souviendront peut-être d’ailleurs que j’ai déjà chroniqué ici-même l’excellent deuxième album du groupe, cet inépuisable I’ve seen everything de 1993.
So come aboard, I’m going to explore / Murphy’s law and the rules of Columbus / He got it wrong, got blown off course / Navigated us in knots (of course) / So come aboard, let’s sing a lament / The world isn’t round, it’s twisted and bent
Twisted and bent
Trois ans après, le quintet poursuit sur ce troisième opus sa quête de la chanson pop parfaite, en artisan brillant et opiniâtre, avide de beauté et de travail bien fait. Car, pour reprendre le titre d’un des morceaux de cet album, les Trash Can Sinatras habitent au cœur de The pop place : de là, ils délivrent un magnifique alignement de mélodies imparables, une musique toute de pureté, sournoisement minée néanmoins par un spleen profond, perceptible dans les textes comme dans le chant de leur leader Franck Reader. Ces chansons réussissent, comme chez tous les grands artisans de la chose pop, à diffuser dans un même mouvement d’une sublime élégance l’ombre et la lumière. Cette musique se joue résolument à hauteur d’homme, se grandissant à chaque note de sa propre humilité. Et c’est peut-être cette façon de créer de grandes choses avec modestie qui fait que se dégagent des meilleurs titres de l’album cette étincelante fragilité, cette grâce parfois proprement miraculeuse. Il fallait que le monde fut bien sourd pour préférer les fiers-à-bras de la brit-pop à cette profusion de finesse et de simplicité.
Morning light, I feel / Come and make a meal of me / I’m hot this morning / And I must say miss, this dish is delicious / You can have some more for dinner
How can I apply… ?
Le disque s’ouvre sur un hors-d’œuvre étoilé avec l’instrumental Outside, avant que le groupe n’enchaîne sur l’aérien Twisted and bent, dont les figures libres ne font que montrer comment chanter juste dans un monde qui ne tourne pas rond. A l’instar du kangourou qui orne la pochette du disque, les Trash Can Sinatras se promènent les poches pleines, pleines de perles : le bouleversant Unfortunate age et son piano tendre et caressant ou le sublime Make y’ self at home qui s’ouvre à nos oreilles comme une fleur éclot. Et que dire de la délicatesse déliée du merveilleux How can I apply… ? ou de la ballade murmurée The sleeping policeman, qui luit tel une route sous la pluie. On accordera aussi une mention spéciale au lyrisme tenu de I’ll get them in ou à ce désarmant The safecracker, qui donne envie de serrer dans nos bras Franck Reader pour mieux le consoler. Pour être tout à fait honnête, le disque a aussi quelques moments faibles, avec une reprise ratée de To Sir, with love d’Al Green et un ou deux morceaux plus convenus (The pop place par exemple) mais ces scories ne nuisent pas réellement à la réussite de l’ensemble.
Another drunk pub quiz compere, another drink, just to make it fair / I see it’s almost afternoon / So I get them in
I’ll get them in
Malgré la beauté de ces chansons, cet art de regarder vers le ciel les pieds dans le caniveau, le succès du groupe fut quasiment nul et les Trash Can Sinatras se firent proprement éjecter par leur label après son rachat par une major. Ils firent un retour discret, comme à leur habitude, huit ans plus tard avec Weightlifting (2004) que j’ai récemment écouté et qui me semble avoir gardé quelques jolis restes, même si une part de la magie semble s’être envolée. Le groupe poursuit sa route cahin-caha, un nouvel album, In the music, étant paru en 2009.
1 réponse
[…] groupe produira en 1996 un troisième album tout aussi réussi – sinon davantage – , A happy pocket, qui contient aussi son lot de merveilles et dont je reparlerai certainement un de ces jours. Par […]