La part du feu
R.E.M. Document (1987, I.R.S.)
Il faut toujours terminer ce que l’on a commencé, n’est-ce pas, et quand l’activité est plaisante, on ne se fera pas prier. J’avais entrepris en 2015 de remonter chronologiquement l’imposante discographie de R.E.M. , je ne vois donc aucune raison de ne pas poursuivre en 2016 cette réjouissante expédition.
Here we stand and here we fight / All your fallen heroes / Held and dyed and skinned alive / Listen to the Congress fire / Offering the educated / Primitive and loyal / Welcome to the occupation
Welcome to the occupation
J’avais laissé R.E.M. sur le seuil du succès avec l’excellent Lifes rich pageant de 1986. Le groupe, incarnation du rock indé et favori des college radios US, semblait lancé sur une irrésistible trajectoire conquérante, élargissant à chaque album son audience publique en maintenant un niveau d’exigence remarquable. Document constitue la suite logique de cette course ascensionnelle : R.E.M. franchit le seuil avec fracas et défonce la porte de la reconnaissance populaire. Il faut bien reconnaître que le quatuor d’Athens n’aura pas ménagé sa peine, livrant pas moins de 5 albums (et quels albums !) en 5 ans et enquillant les kilomètres au cours de tournées harassantes pour sans fin défendre sa musique. R.E.M. est un des rares exemples d’une forme de justice de l’histoire, tant il n’est pas si fréquent qu’un groupe aussi intègre et intéressant récolte les lauriers que son talent devrait lui valoir. Document sera donc le premier disque de platine (aux USA) du groupe et lui vaudra ses deux premiers véritables hits, It’s the end of the world as we know it (and I feel fine) et surtout, le brûlant The one I love.
When feeding time has come and gone / They’ll lose the heart and head for home / Try to tell us something we don’t know
Disturbance at the heron house
Musicalement aussi, Document s’inscrit dans la lignée de Lifes rich pageant. Celui-ci montrait R.E.M. se diriger vers des sonorités rock plus tranchantes, plus classiques aussi dans un certain sens : la guitare de Peter Buck se fait plus affirmée, le chant et les textes (enfin, dans une certaine mesure) sont plus clairs, et c’est en fait toute la musique du groupe qui paraît plus confiante, plus assurée. Certes, R.E.M. perd un peu du mystère et de la fragilité qui faisaient tout le charme de ses précédents opus mais le groupe conserve encore bien des arguments dans sa manche pour livrer un disque d’excellente facture, même si je ne le classerais pas au sommet des réalisations de la bande à Michael Stipe. C’est un peu comme si R.E.M. avait décidé de franchir le Rubicon, d’assumer ses velléités glorieuses, d’entrer dans la lumière en laissant la peur derrière lui. Certains fans de la première heure ont pu crier à la trahison mais l’exemple du groupe marquera durablement les esprits de toute une génération d’indie-rockers eux aussi confrontés au succès public, de Nirvana à Sonic Youth en passant par Hole.
This boy and girl that gather pearls / Of wisdom falling from his mouth / Wash off the blood, wash off the rum
Oddfellows local 151
Mais Document ne se résume pas à ce qu’il a permis à R.E.M. de devenir. En plus de marquer les débuts d’une collaboration fructueuse avec le producteur Scott Litt, Document aligne une belle poignée d’excellentes chansons et de réelles qualités. Si l’introductif Finest worksong laisse à craindre que la tentation de durcir son propos ait finalement conduit d’un même mouvement le groupe à l’alourdir , la suite est bien plus rassurante. Avec Welcome to the occupation, R.E.M. signe un morceau brillamment caractéristique de ses talents, entre guitares carillonnantes, mélodies lignes claires et harmonies vocales. Cette idiosyncrasie “R.E.M – ienne” se retrouve portée à incandescence sur le génial Disturbance at the heron house, qui fend le ciel comme un impressionnant aéronef. Parmi les hauts faits de l’album, on retiendra le frénétique et désormais classique It’s the end of the world as we know it (and I feel fine) sur lequel Stipe semble à la fois possédé et euphorique, malgré l’ironie du propos, et on ne pourra pas passer à côté du fiévreux The one I love, auquel la guitare rougeoyante de Buck confère des teintes ignées. Et si Document n’est pas l’album le plus aventureux de R.E.M., le groupe tente quand même des nouvelles pistes, avec plus ou moins de bonheur. Ce sera un drôle de solo de saxophone sinueux à la fin de Fireplace ou les notes de dulcimer qui résonnent sur un King of birds aux airs velvétiens. R.E.M. n’oublie pas non plus ses amours de jeunesse en plaçant ici une reprise – pas très réussie – du Strange de Wire. Document constitue aussi le disque le plus éminemment politique de R.E.M., vraisemblablement alors très remonté contre le conservatisme reaganien alors triomphant et des morceaux comme l’explicite Exhuming Mc Carthy en attestent. L’album se termine par un Oddfellows local 151 charbonneux et menaçant, tout à fait raccord avec le message figurant sur la pochette originale du disque : “File under fire”, Michael Stipe considérant – à juste titre – que la thématique du feu était au cœur de ces morceaux.
It’s the end of the world as we know it / And I feel fine…
It’s the end of the world as we know it (and I feel fine)
Si Document est un disque de feu, il n’est pas de ces brasiers qui consument tout sur leur passage et ne laisse que cendres et terre brûlée. Il demeure en revanche un bel album enflammé et fougueux, mêlant étrangement une joie brûlante à une évidente colère.
2 réponses
[…] Document la semaine dernière, je n’avais pas forcément prévu de poursuivre ce soir avec R.E.M. et […]
[…] cet album pourrait apparaître comme un improbable mélange entre Fables of the reconstruction, Document et Monster. Du premier, et je l’ai déjà dit, New adventures… hérite de […]