Le grand murmure
R.E.M. Murmur (1983, IRS Records)
Après quasiment un mois de silence volontaire pour cause de (très agréable et profitable) coupure estivale, vous me voyez fort aise de retrouver ces colonnes et vous, cher lectorat, par la même occasion. J’espère que vous partagerez vous aussi le plaisir de ces retrouvailles et que vos vacances – si vous avec pu en disposer – auront également été belles et bonnes. Je vous renverrai pour cette reprise plus de trente ans en arrière avec le premier album d’un groupe qui réussira quelques années plus tard la gageure de combiner (énorme) succès public et (constante) qualité artistique. J’aurai certainement l’opportunité d’y revenir ici, ayant entrepris durant ces congés de réviser l’intégralité de la discographie de R.E.M. ; il est peu probable que cette roborative occupation ne débouche pas sur quelques billets.
Could it be that one small voice doesn’t count in the womb ? / Yellow like a geisha gown, denial all the way
Shaking through
Comme beaucoup – surtout de ce côté de l’Atlantique – , ma première rencontre avec R.E.M. se fit par l’entremise de Losing my religion, à un âge où je n’écoutais guère que le tout-venant radiophonique parmi lequel ce formidable morceau brillait d’un éclat sans pareil. Au fur et à mesure que j’enrichissais ma culture musicale et affinais mes goûts, je suivais la carrière de R.E.M. au gré des parutions de leurs albums (de Monster à Around the sun), chérissant tout particulièrement la beauté noire de l’inégalable Automatic for the people (1992) mais ce n’est qu’il y a relativement peu de temps que j’ai commencé de me pencher sur les débuts du groupe – même si je connaissais Reckoning (1984) depuis un bon moment. Et au commencement fut ce Murmur, dont l’écho allait résonner fort et longtemps dans le monde de la pop et du rock, au point qu’on peut y voir par bien des aspects l’acte de naissance de ce qu’on nommera l’indie-rock.
Speakin’ in tongues, it’s worth a broken lip / Your hate clipped and distant, your luck / Rest assured this will not last, take a turn for the worst
Pilgrimage
R.E.M. voit le jour à Athens, Géorgie, à la fin des années 1970, suite à la rencontre entre Michael Stipe, Peter Buck, Mike Mills et Bill Berry. Le groupe commence à enregistrer au début des années 1980 : un premier 45T, “Radio Free Europe” en 1981, puis l’EP Chronic town en 1982. Ces deux parutions lui valent d’être remarqué par la critique en même temps que par les college radios américaines qui joueront un rôle fondamental dans son ascension vers les sommets. Le premier album de R.E.M. fait donc l’objet d’une certaine attente et c’est peu dire que ce Murmur ne va pas passer inaperçu, malgré un impact public encore modeste. C’est sans doute difficile à imaginer aujourd’hui mais la musique de R.E.M. ne ressemble alors à rien de connu. Sans apporter de révolution stylistique majeure, le groupe réalise le mélange inédit entre la tension et l’énergie du punk et du post-punk et la finesse mélodique de la pop 60’s. Pour ce faire, le quatuor dispose d’indiscutables atouts et de singularités marquantes : un chanteur au timbre parfaitement identifiable, une section rythmique d’une solidité et d’une souplesse fantastiques, un guitariste à la fois fin et tranchant, le tout rehaussé par une cohésion sans faille qui confère une remarquable compacité à l’ensemble. Par-dessus ce fécond amalgame, le groupe dépose sur ses chansons comme un voile de mystère : la production semble nimber les morceaux d’un halo de brume et Michael Stipe tour à tour chante et marmonne des textes parfaitement cryptiques, entre écriture automatique et poésie absconse. Grâce à tous ces ingrédients, les propositions musicales de Murmur demeurent trente ans après d’une saisissante actualité et si cet album n’est pas à mon sens le meilleur du combo, il constitue quand même une remarquable réussite.
The animals, how strange. Try, try to stick it in
West of the fields
Après dix secondes de flottement, Murmur déboule à bride abattue derrière les quatre coups frappés par Bill Berry pour défoncer la porte. Radio Free Europe ouvre l’album tel un fascinant mélange entre les Byrds et les Feelies, la grâce mélodique des uns se mariant parfaitement avec l’urgence tendue des autres. Sur Pilgrimage, l’influence du post-punk anglais s’avère particulièrement flagrante avec cette introduction qui semble sortir droit des premiers Cure avant que le morceau ne décolle et que Stipe et Buck entonnent en chœur le refrain. Je ne vous passerai pas en revue l’ensemble des titres du disque mais comment garder sous silence la beauté humble et mélancolique de Laughing ou la rage mélodieuse de Sitting still. 9-9 impressionne également par sa vigueur âpre et tendue mais le groupe sait aussi relâcher la pression avec le lumineux Shaking through ou un We walk chatoyant sur lequel Buck fait couler les arpèges comme des rivières. Et si certains morceaux ici me touchent moins (comme Catapult ou même les ballades Talk about the passion et Perfect circle), tous ont quand même un je-ne-sais-quoi qui rend l’ensemble unique. On ne manquera pas de souligner par ailleurs que les dernières rééditions du disque, notamment la version Deluxe, donnent à entendre de formidables versions live de ces chansons, les débarrassant du flou qui les entoure sur l’album pour les exposer tranchantes et brûlantes à souhait.
Straight off the boat, where to go? / Calling on in transit, calling on in transit / Radio Free Europe
Radio Free Europe
Le jeu de mots est facile mais Murmur ne manqua pas de faire du bruit, le prestigieux magazine Rolling Stone en faisant même son album de l’année 1983. La marche en avant d’un groupe unique était lancée, l’aventure durera plus de vingt-cinq ans.
2 réponses
[…] Je vous avais prévenus il n’y a pas même un mois, je suis en pleine période d’immersion dans la discographie de R.E.M. , il est donc normal que ce blog en porte la trace (et ce n’est pas fini, très vraisemblablement). Nous nous arrêterons ce soir sur le successeur de l’épatant et indispensable Murmur. […]
[…] la révélation (Murmur) et la confirmation (Reckoning), le troisième album de R.E.M. pourrait être considéré comme […]