Les lignes électriques
Blondie Parallel lines (1978, Chrysalis / Capitol Records)
Quand Blondie publie Parallel lines – son troisième album studio – fin 1978, le groupe est déjà résolument engagé sur la voie d’un succès planétaire. Récupéré par le label Chrysalis dès après son premier LP, il bénéficie des efforts de promotion que fournit sa nouvelle écurie pour son deuxième opus, Plastic letters, paru au début de cette même année 1978. Il peut aussi compter sur l’excellence de ses singles, notamment l’irrésistible Denis et sa fraîcheur canaille, adapté d’un vieux hit de 1963 de Randy & the Rainbows et originellement intitulé Denise. Parallèlement à ces aventures discographiques, le groupe trouve peu à peu sa configuration idéale et se stabilise sous forme de sextet après Plastic letters, suite au départ du bassiste Gary Valentine et aux arrivées successives de Frank Infante (à la guitare) et Nigel Harrison (à la basse). Tout semble en place pour la conquête des charts, d’autant que le groupe s’adjoint les services du producteur australien Mike Chapman, aux manettes derrière une palanquée de hits – notamment glam-rock – au fil des années 1970. Parfaitement carénée pour décrocher le sommet des hit-parades du monde entier, la fusée Blondie ne va pas rater sa mise à feu.
All I want is a room with a view / A sight worth seeing, a vision of you / All I want is a room with view, oh-oh / I will give you my finest hour / The one I spent watching you shower / I will give you my finest hour, oh yeah
Picture this
Car ce Parallel lines s’avère – et encore près de quarante ans plus tard – un formidable bolide, une bombe rutilante et excitante empli de morgue et de sex-appeal. On aurait pourtant pu avoir quelque doute sur la tenue artistique du projet, tant le précédent Plastic letters ne convainquait qu’à moitié. Malgré le tube Denis et quelques autres bons moments, le groupe avait sur cet album un brin tendance à surjouer le second degré et à abuser des gimmicks et œillades de la pop sucrée des 60’s, sans retrouver la fraîcheur et le punch sexy de son premier essai. Avec Parallel lines, Blondie rassemble tous ses atouts pour frapper un grand coup. Le groupe affiche une compacité et une énergie roboratives tandis que Debbie Harry s’en donne à cœur joie pour orchestrer de la voix et du geste ce récital hédoniste et rayonnant. Blondie parvient ici plus que jamais sans doute à dépasser le paradoxe qui se niche en son cœur : briller en tant que collectif sans être éclipsé par l’éclat de l’étoile blonde envoyée sous le feu des projecteurs. C’est d’ailleurs un peu tout Blondie résumé sur la photo illustrant la pochette de l’album : les cinq garçons derrière, indistincts dans leurs costumes assortis et elle devant, la blonde magnétique attirant tous les regards. C’est pourtant bien un groupe – élégant et incisif – qu’on entend ici, et si Harry brûle les planches devant, elle n’est pour autant jamais seule en scène.
Pretty baby, you look so heavenly / A neo-nebular from under the sun / I was forming, some say I had my chance / The boys were falling like an avalanche
Pretty baby
L’album s’ouvre par une mise en bouche percutante à souhait avec ce Hanging on the telephone repris aux Nerves, qui donne à entendre d’emblée le nouveau mordant affiché par le groupe. Ces guitares élégantes et acérées, ces claviers endiablés, on les retrouvera tout le long du disque et notamment sur l’imparable et formidable One way or another, sur lequel une Debbie Harry chauffée à blanc endosse les habits d’un (une ?) stalker déterminée, d’une prédatrice en chasse. Cette agressivité mi-sexy, mi-inquiétante se retrouve aussi sur l’entêtant I know but I don’t know, se teinte de davantage de désir sur Will anything happen ? ou 11:59. Blondie n’en oublie pas pour autant son goût pour la pop des girl-groups 60’s, le temps de ces Sunday girl ou de ces Pretty baby, sur lesquels ses minauderies emplies de feinte innocence montrent une Debbie Harry toujours disposée à venir poivrer un peu les sucreries pop. Debbie Harry pouvait néanmoins se montrer réellement émouvante, et tomber un peu le masque comme sur le grandiose Picture this ou surtout la ballade stellaire Fade away and radiate irradiée par la guitare de Robert Fripp. Bien évidemment, impossible de passer sous silence le coup de maître du groupe, ce Heart of glass discoïde, au sex-appeal distant et au charme inépuisable, grâce auquel Blondie allait balayer les charts des deux côtés de l’Atlantique et Debbie Harry accéder au statut d’icône pop, figeant un peu d’ailleurs – de façon trompeuse – son personnage en modèle de papier glacé. Le morceau n’en demeure pas moins toujours aujourd’hui irrésistible, avec sa basse chaloupée et son déhanché impérial, et confirme la capacité du groupe à tenir ses oreilles grandes ouvertes à la bande-son de son époque.
Once I had a love and it was a gas / Soon turned out to be a pain in the ass / Seemed like the real thing only to find / Mucho mistrust, love’s gone behind
Heart of glass
Au final, Parallel lines représente une sorte de quintessence de l’art du groupe, mélange idéal de puissance punk et d’instantanéité pop, le tout relevé d’effluves glam et exécuté avec une précision diabolique. Grâce à Heart of glass, Blondie pouvait partir à la conquête des pistes de danse et des charts de la planète entière, au risque de générer un certain nombre de malentendus pour un groupe issu de la scène new yorkaise la plus avant-gardiste et certains ne manquèrent pas de crier en effet aux vendus. Arty et rusé, sensuel et saignant, Blondie mérite mieux que cette image superficielle qui l’entoure encore aujourd’hui.