The Divine Comedy Promenade (1994, Setanta/Virgin)
Un an à peine après l’exceptionnel Liberation, l’Irlandais Neil Hannon, singleton génial sous le nom de Divine Comedy, laissait de nouveau libre cours à son inspiration débridée avec ce troisième opus officiel du groupe. Forcément attendu au tournant après avoir commis un authentique chef-d’œuvre, le gringalet Hannon relevait le gant sans aucun complexe.
Alors que Liberation parvenait à un équilibre incroyable entre finesse et richesse musicales, Hannon entreprend ici d’en faire plus, au risque d’en faire trop. Laissant derrière lui toute retenue, abandonnant presque totalement les quelques traces de rock qui coloraient la palette de Liberation, Hannon lâche la bride à son penchant pour les arrangements chantilly, convoquant orchestre et violons et n’hésitant plus à se frotter à ses fantasmes, de Brel à l’opérette en passant par Scott Walker.
Forcément, une telle débauche d’effets menace à plusieurs reprises de nous peser sur l’estomac, et pourtant, par la grâce d’un génie unique et d’un humour constant, Hannon emporte la décision. Tour à tour éléphant dans un magasin de porcelaine (A drinking song) et fin souffleur de verre (le sublime et nostalgique The summerhouse), Hannon, sans pour autant retrouver la grâce unique de son précédent album, parvient à se hisser brillamment au-dessus de la mêlée.
Promeneur solitaire baroque, Hannon nous convie à une drôle de balade, entre randonnée cycliste (Going downhill fast), restaurant de fruit de mer (A seafood song), cinéma d’auteur (When the lights go out all over Europe) et grande roue de fête foraine (Don’t look down) . Sur le génial The booklovers, Hannon se contente d’énumérer une liste imposante d’écrivains célèbres, chaque nom énoncé s’accompagnant d’une parenthèse plus ou moins drolatique. Derrière ce procédé qu’on pourrait juger un rien poseur, on retrouve en fait une immense chanson, architecture ascendante époustouflante nous faisant apprécier la douce ivresse des cimes. On retrouve ce sens du vertige ascensionnel sur When the lights go out all over Europe et surtout, sur le merveilleux Tonight we fly, qui vient nous parler de rien moins que la mort avec une grâce infinie: « Tonight we fly / Over the houses, the streets, and the trees / Over the dogs down below / They’ll bark at our shadows / As we float by on the breeze ».
The Divine Comedy confirme ici son rang de maître pop des années 1990. Promenade contient cependant en germe les tentations excessives de son auteur, ce goût pour l’esbroufe et la surenchère qui, s’il sera ô combien brillamment maîtrisé sur Casanova (1996), montera par la suite un peu à la tête de notre génial freluquet. On en reparlera ici.