Mes années 2010 : 70-61

70. Car Seat Headrest Fill in the blank (2016)

J’avoue n’avoir suivi que très partiellement la production pléthorique de Will Toledo (une dizaine d’albums auto-produits en quatre ans avant de signer chez Matador en 2015) mais son copieux Teens of denial de 2016 fait partie de ces disques qui vous donnent du grain à moudre pendant longtemps. Sur ce disque gargantuesque au risque (assumé) de l’indigestion figurent quelques-uns des morceaux rock les plus abrasifs de ces dernières années, à commencer par cet épatant Fill in the blank placé en ouverture de l’album comme on allume un pétard. Peinture brûlante de la déprime adolescente relevée de ce qu’il faut d’ironie et d’humour, Fill in the blank va chercher ses influences du côté d’un certain pan du rock indé des années 1990, évoquant à certains moments Beck accompagné par Bob Mould. Bruyant et brillant, Fill in the blank pourrait représenter une sorte d’hymne générationnel désabusé, entre une forme de confusion mentale et volonté d’en découdre.

Car Seat Headrest – Fill in the blank

69. Alvvays Archie, marry me (2014)

J’ai déjà exprimé plus haut mon amour pour la musique des Canadiens d’Alvvays et ce morceau en technicolor devrait vous permettre de comprendre aisément pourquoi. Archie, marry me est une de ces chansons qui vous soulèveront de joie, qui feront éclater devant vos yeux et dans vos oreilles une pyrotechnie multicolore comme autant de bulles luminescentes. La voix pure et puissante de Molly Rankin semble surfer sur les vagues de reverb qui roulent tout du long de la chanson et qui font résonner le carillon de guitares exaltantes comme rarement. Avec tout ça, on ne comprendrait pas qu’Archie puisse refuser pareille demande.

Alvvays – Archie, marry me

68. PJ Harvey The glorious land (2011)

Sur ce sommet de son Let England shake de 2011, l’incomparable PJ Harvey recycle un ancien chant tiré du folklore russe et un air de fanfare militaire pour livrer une poignante diatribe anti-guerre, en réaction contre l’intervention de l’armée britannique en Afghanistan. Paraissant tourner sur lui-même autour d’un riff répétitif, comme on ressasserait une obsession morbide ou une inextinguible peine, le morceau évoque des images de terres scarifiées, de territoires baignés de sang et d’enfants meurtris, dénonçant avec un calme troublant les blessures éternelles de la guerre et des armes. La colère affleure ici sous une gravité qui impose le recueillement et cette solennité finit par conférer à la chanson des airs de chant de ralliement, derrière un refrain (« Oh America Oh England ») résonnant comme un cri.

PJ Harvey – The glorious land

67. Kevin Morby Dorothy (2016)

C’est un peu étrange quand on y pense une chanson sur une guitare mais, ma foi, le peu que je connaisse mérite plus que le détour. Ce fantastique morceau de Kevin Morby, déjà croisé plus bas dans ce classement, vient se ranger aux côtés du non moins génial My guitar de Ben Lee, dans un style bien différent. Avec Dorothy (le petit nom de la Belle), l’Américain livre une merveille de chanson cumulative, qui fait entrer peu à peu les différentes pièces de son instrumentarium et qui prend la peine de les présenter. Propulsé par un ensemble guitare-basse-batterie bien campé sur ses bases, le morceau s’échauffe progressivement, comme grisé par sa propre énergie et atteint des sommets proprement jubilatoires. On recommandera ainsi tout spécialement le moment (autour de 2’40) où le piano lancé sur l’avant-scène est rejoint par une volée de cuivres à tomber, qui nous emmène à chaque écoute pas si loin de l’extase.

Kevin Morby – Dorothy

66. Prefab Sprout Adolescence (2013)

Il ne faut jamais enterrer les grands maîtres et le retour miraculeux autant qu’inespéré du groupe de Paddy McAloon en 2013 avec Crimson / red en apportait une nouvelle preuve. Sur cet album gorgé de beautés, cet Adolescence scintille avec un éclat encore plus vif pour tout ce qu’il charrie de félicité nostalgique. Avec une justesse et une grâce infinies, ce type usé approchant la soixantaine accomplit l’une des plus vibrantes odes à l’adolescence qui soit, évoquant évidemment la magie de l’un de ses plus illustres héros : Brian Wilson. McAloon joue à merveille du contraste entre une instrumentation toute en retenue, sertie de boucles luminescentes et de tout un attirail sonore frémissant, et le lyrisme des paroles, emphatiques et fulgurantes comme les grands tremblements de l’âme si violents à cet âge. Et si le grand homme vieillissant sait encore si bien parler de la jeunesse, c’est à n’en pas douter parce qu’il a su en préserver les éternelles facultés d’enchantement.

Prefab Sprout – Adolescence

65. Alex Cameron Take care of business (2016)

L’Australien Alex Cameron se révélait en 2016 avec son remarquable premier album, Jumping the shark, que venait conclure cette ballade aussi fascinante qu’inquiétante. Avec un sens consommé de la dramaturgie, Alex Cameron livre ici une chanson à la beauté vénéneuse, trouble et troublante, à tel point qu’on imaginerait volontiers le bonhomme l’interpréter sur la scène du Roadhouse de Twin Peaks. Sur fond d’une boîte à rythmes étique, le morceau sinue et s’insinue et se dilate progressivement sous l’effet d’une mélodie au synthé qui se termine en crescendo sidérant. Un peu comme si Nick Cave rencontrait Depeche Mode.

Alex Cameron – Take care of business

64. Timber Timbre Hot dreams (2014)

Sur leur cinquième album studio paru en 2014, les Canadiens de Timber Timbre plaçaient ce chef-d’œuvre envoûtant et langoureux dont chaque écoute continue de provoquer de délicieux frissons. Au fil des presque cinq minutes du morceau, le groupe conduit par Taylor Kirk se livre à un effeuillage captivant et joue à cache-cache avec nos sens pour nous perdre dans les méandres moites de ce slow alangui. Pour ce faire, Timber Timbre sort ses plus beaux atours, entre nappes de clavier Chamberlin, gouttes de guitare finement distillées et surtout un motif final au saxophone qui emmène la chanson vers une forme d’acmé, érotique et inquiétant.

Timber Timbre – Hot dreams

63. Avi Buffalo Remember last time (2010)

Bouquet final de l’épatant premier album des Californiens, Remember last time constitue une sorte d’apothéose, un feu d’artifice dont les gerbes électrisantes n’ont pas fini de nous éblouir. Le chant encore vert d’Avigdor Zahner-Isenberg semble en permanence manquer de s’ébrécher sous la tension d’émotions trop vives et c’est au final quand il se tait qu’il laisse déferler tout ce qu’il semblait retenir dans un final spectaculaire et bouleversant. Alors que la chanson semble s’évanouir, elle s’élève brusquement à la verticale, tractée par un impressionnant solo de guitare se délestant de la gravité pour mieux aller rejoindre les étoiles autrefois accrochées par Galaxie 500. Une explosion dans le ciel.

Avi Buffalo – Remember last time

62. Real Estate Primitive (2014)

Déjà mentionné plus bas dans ce classement, le groupe du New Jersey portait très haut son art modeste sur son fantastique Atlas. Cerise sur ce précieux gâteau, Primitive atteint une forme de perfection pop enchanteresse. A son train de sénateur, le morceau déroule ses entrelacs mélodiques dans une harmonie délicieuse, paraissant modeler la lumière pour conférer à ses contours un charme insaisissable d’une insondable finesse. La chanson crée finalement une enveloppante atmosphère d’entre-deux, entre joie et mélancolie, dans laquelle on aime à se lover comme dans un plaid bien chaud l’hiver ou dans la fraîcheur d’une brise printanière.

Real Estate – Primitive

61. Sharon Van Etten Seventeen (2019)

Grande chanson de l’an passé, Seventeen de Sharon Van Etten se révèle clairement un de ces morceaux dont l’aura et la profondeur se renforcent à chaque écoute. Évoquant ses souvenirs de jeunesse par le biais d’une adresse fictive à une jeune fille de 17 ans, Van Etten évoque aussi ses années new-yorkaises et emplit le morceau de cette pulsation fébrile qu’on associe volontiers à la Grosse Pomme. Quelque part entre Springsteen, Fleetwood Mac et la PJ Harvey de Stories from the city, stories from the sea, la chanson avance emplie jusqu’à la moelle de lyrisme tendu que Van Etten laisse éclater à 3’02 en lâchant un « I know what you’re gonna be » aux propriétés pilo-érectiles indéniables et nous offre un grand moment de romantisme brut.

Sharon Van Etten – Seventeen

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