Résurrection
Iggy Pop The idiot (1977, RCA)
En 1974, Iggy Pop est un homme en perdition, carbonisé par les sept années furieuses qu’il vient de passer à bord de l’infernal carrousel des Stooges. Sept années de carnage sauvage, le temps pour le groupe de laisser trois albums incandescents et incendiaires dont les braises viendront déclencher quelques années plus tard l’embrasement punk. Lessivé par les excès, le groupe se délite et Iggy Pop doit lutter contre ses addictions. Il ira jusqu’à se faire interner un temps – à sa demande – en hôpital psychiatrique pour essayer de se désintoxiquer mais le salut viendra paradoxalement des mains d’un autre drug addict notoire, lui alors en pleine gloire, en la personne de David Bowie. Celui-ci propose à Iggy Pop de l’accompagner durant sa tournée Station to station et l’alchimie fonctionne si bien entre les deux hommes qu’ils s’installent simultanément à Berlin-Ouest à la fin de l’année 1976. Bowie se met à composer des nouvelles chansons qu’il partage avec Iggy et l’album est finalement bouclé entre le Château d’Hérouville et Berlin.
Well now, I’m looking for the Dum Dum Boys / Hey, where are you now when I need your noise? / Now, I’m looking for the Dum Dum Boys / The walls close in and I need some noise
Dum Dum Boys
Il serait tentant – voire logique – de considérer The idiot (d’après le roman de Dostoïevski) comme un satellite des planètes protéiformes bâties alors par le tandem Bowie / Eno et Bowie lui-même n’hésitera pas à affirmer plus tard qu’Iggy Pop lui avait servi de « cobaye » pour ses expérimentations. La distance stylistique entre le rock brutal et effilé des Stooges et la matière sonore trouble de The idiot semble également confirmer que l’Américain se serait habilement glissé dans des habits qui n’étaient pas les siens. Cette interprétation ne doit pas pour autant nous porter à considérer The idiot autrement que comme un album d’Iggy Pop et ce serait faire peu de cas de la forte personnalité du bonhomme d’envisager cet album comme un disque de Bowie ventriloque. L’absence de crédits sur la pochette du disque a longtemps contribué à semer le trouble mais si The idiot se joue sur les territoires sonores défrichés par Bowie (et Eno), Iggy Pop est tout autant acteur que son illustre comparse. Fruit d’une collaboration entre deux fortes têtes, The idiot est au final un disque étrange et malade, à la beauté viciée et qui marquera durablement son époque. Avec son teint hâve, ses guitares louches et ses couleurs de bout de nuit, cette musique offre en tout cas un véhicule parfait pour une résurrection.
Nightclubbing, we’re nightclubbing / We’re walking through town / Nightclubbing, we’re nightclubbing / We walk like a ghost / We learn dances brand new dances / Like the nuclear bomb
Nightclubbing
L’album s’ouvre sur Sister midnight qui marque d’entrée la rupture avec le rock chauffé à blanc des Stooges. La guitare de Carlos Alomar bâtit un riff funk mutant, une rythmique métronomique lorgne vers l’électronique d’un groupe comme Kraftwerk tandis qu’Iggy Pop raconte une histoire emplie de fantasmes œdipiens, peut-être pour rendre hommage au monologue halluciné du The end de Jim Morrison, son idole de jeunesse. Les huit morceaux (seulement) présents sur le disque baignent tous dans cette ambiance noctambule, la plupart ayant d’ailleurs été composée de nuit tant les deux compères semblaient alors craindre la lumière du jour. La démarche efflanquée de l’interlope Nightclubbing illustre à merveille cette espèce de « blues trottoir », cette façon d’éclairer chaque note, chaque riff à la lueur des réverbères. Le résultat oscille alors entre le scintillant (cet impeccable China girl que Bowie reprendra plus tard pour en faire un tube gigantesque et inspirée à l’Iguane par la compagne d’alors de Jacques Higelin) et le blafard, avec notamment les deux déambulations fiévreuses que sont Dum Dum boys et Mass production. Sur la première, Iggy Pop semble solder les comptes de son passé en revenant sur son aventure avec les Stooges, entre regrets et volonté d’aller de l’avant. Le son coupant des guitares annonce les frimas du post-punk. Sur la seconde, le chant d’Iggy se fait plus spectral que jamais pour conduire cette longue dérive hallucinée aux sonorités torturées, qui vient clore le disque sur une touche lugubre, là-encore comme si Iggy prenait la tête d’une procession de zombies, traversant le purgatoire pour revenir à la vie.
Calling sister midnight / What can I do about my dreams? / Listen to me, sister midnight / You’ve got me walking in rags / Listen to me, sister midnight / You put a beggar in my heart
Sister midnight
L’album aura une portée considérable sur toute la scène post-punk, et on retrouve son influence de P.I.L. à Low, de Nine Inch Nails à Depeche Mode. L’aura morbide de The idiot sera accentuée quand on saura que le disque se trouvait sur la platine de Ian Curtis au moment de son suicide. Pour Iggy Pop, ce disque fut bien plutôt libérateur et cette régénération se confirmera quelques mois plus tard quand – toujours avec l’appui de David Bowie – il enchaînera avec le jouissif Lust for life, qui lui permettra d’accéder enfin au devant de la scène. Mais c’est une autre histoire.
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[…] : Iggy Pop, qui deux ans avant Marianne Faithfull, revenait à la vie avec le formidable diptyque The idiot / Lust for […]