Mes années 2010 : 100-91
100. Sean Rowe The drive (2014)
Seconde mention ici pour Sean Rowe et son somptueux Madman de 2014 dont j’ai déjà plusieurs fois chanté les louanges. Folk acoustique joué au coin du feu, The drive colle ses notes à votre oreille dans un merveilleux mélange de profondeur et d’intimité. Sous ses airs dépouillés, le morceau déploie un instrumentarium subtilement varié, dans lequel cordes, piano et bois se réchauffent mutuellement pour façonner une atmosphère enveloppante, à la rusticité accueillante toute de paille et de soie. Et l’ombre bienveillante de Leonard Cohen, déjà évoqué par le timbre gravissime de Sean Rowe, surgit de la lumière d’une bordée de chœurs féminins.
99. The Black Keys Everlasting light (2010)
Je n’aurais pas forcément parié que ce titre des Black Keys figurerait aussi haut dans ce classement mais il faut se rendre à l’évidence : Everlasting light est une putain de chanson, tout comme Brothers est un putain d’album. Ouverture idéale de ce disque formidable, Everlasting light célèbre les noces païennes du blues, du rock et de la soul, qui exsude de tous les pores de ce titre transpirant. Le temps de trois minutes vingt-cinq torrides, chargées de senteurs fauves et de grâce féline, Carney et Auerbach font chalouper le bayou, croisant Betty Davis et John Fogerty dans un bouge enfumé. L’imagerie soul réside aussi bien dans le recours à des métaphores bibliques pour mieux évoquer les aspects les plus charnels que dans la voix de falsetto de Dan Auerbach, qui minaude avec une classe folle sur un riff boogie. Le goudron et les plumes dans un seul morceau.
The Black Keys – Everlasting light
98. Wild Nothing Summer holiday (2010)
Titre phare de l’excellent premier album de Wild Nothing (alias Jack Tatum), Summer holiday constitue une forme d’épitomé de l’art pop du bonhomme. Revendiquant haut et fort son amour de l’indie-pop à guitares des années 1980, Jack Tatum en livre une version brillante, brûlante et passionnée mais ne croulant jamais sous le poids de la révérence (et des références). Guitares, basse et batterie dévalent toutes vitres ouvertes, rythmique et mélodie tournoyant de concert tandis que Jack Tatum déroule une histoire de crush adolescent. Le morceau peut surtout s’enorgueillir d’une merveille de pont suspendu, durant lequel les guitares carillonnantes se mettent en pause un instant, la voix et la rythmique semblant prendre comme un dernier élan avant l’envol final.
97. Foals A knife in the ocean (2015)
Point final de leur impressionnant What went down de 2015 (sans doute leur plus belle réussite), A knife in the ocean figure un brûlant condensé de lyrisme en fusion. Chanson élémentale aux tendances apocalyptiques, où le narrateur semble désespérément coincé – malgré ses proclamations rassurantes – entre l’incendie qui vient et l’immensité des flots menaçants, A knife in the ocean donne à voir un groupe pleinement maître de ses effets, qui prend le risque de l’emphase pour finalement accoucher d’un morceau à la fois grandiose et effondré, dans lequel le tourbillon sonique des guitares semble se heurter au mur d’une rythmique implacable. Quelque chose comme l’augure tempétueux de la catastrophe qui vient.
96. Best Coast How they want me to be (2012)
Parmi la multitude des chansons qui traitent pêle-mêle du refus de suivre la voie montrée par d’autres et de l’affirmation de soi par la négative, avec autant de certitudes sur ce qu’on ne veut pas que de flou sur ce qu’on voudrait être, ce morceau de Best Coast réussit à sortir du lot pour faire vibrer nos cordes sensibles d’une façon bien à lui. Ballade progressant en escalier, How they want me to be avance sans forfanterie, incrustée d’arpèges brillant au clair de lune, entièrement tournée vers les états d’âme teintés de bleu de miss Cosentino. Cette prise directe ennuiera celles et ceux qui pensent que la musique doit se confronter au fracas du monde mais touchera comme rarement les autres, davantage tournés vers leurs fêlures intimes et résolument perclus d’incertitudes.
Best Coast – How they want me to be
95. Michel Cloup Duo Nous vieillirons ensemble (2014)
« Après avoir foudroyé le rock français avec Diabologum pendant les années 1990, Michel Cloup a poursuivi une aventure musicale intense et exigeante, seul ou accompagné. Depuis le début de la décennie, associé au batteur Patrice Cartier, c’est sous le nom de Michel Cloup Duo qu’il s’évertue à faire vivre son art lucide et beau, avec déjà quatre albums au compteur, le dernier joliment intitulé Danser danser danser sur les ruines venant juste de paraître. Ce fantastique chant d’amour conclut le brûlant Mourir dans tes bras sur lequel le duo livre un rock enflammé à la beauté sauvage proprement soufflante. Déclaration d’amour d’une sincérité bouleversante, Nous vieillirons ensemble peut s’écouter comme une variation sur la phrase balancée sur l’inépuisable 365 jours ouvrables de Diabologum : « A part sortir quand c’est fini / Main dans la main de celle qui nous a choisi / Il n’y aura rien à gagner ici ». Le couple y figure un havre ultime, la planche de salut dans un monde en décomposition, la lumière qui ne cessera pas de briller quand tout s’éteindra. Acte d’amour et de foi mêlés, délivrés sur un lit de guitare en fusion, Nous vieillirons ensemble est une chanson phare dans la nuit dont l’éclat tremblé n’en finit pas de nous éclairer. » Texte original publié le 01/05/2019.
Michel Cloup Duo – Nous vieillirons ensemble
94. Mannequin Pussy Drunk II (2019)
Il n’aura fallu que quelques mois à cette bombe incendiaire du combo punk-hardcore de Philadelphie pour s’incruster en bonne place dans ce classement, et ce dans un genre qui ne m’est a priori pas des plus familiers. Non seulement l’épatante Marisa Dabrice se révèle une interprète fameuse, insufflant tout ce qu’il faut de rage, de frustration, de morgue et de noirceur à cette confession de ses soirées à s’assommer par l’alcool, mais le morceau s’avère doté d’une profondeur de champ stupéfiante. L’intensité furieuse de la chanson ne brouille en rien le lustre de la mélodie et l’efficacité de guitares affûtées comme des lames, qui évoquent aussi bien les Distillers que Sebadoh ou Hüsker Dü. Une grande chanson sauvage et sophistiquée, qu’on boira jusqu’à plus soif.
93. Daniel Darc La taille de mon âme (2011)
« Disque sidérant de beauté, souvent un peu oublié dans l’ombre portée de son chef-d’œuvre Crèvecoeur paru en 2004, La taille de mon âme démontre, s’il en était besoin, à quel point Daniel Darc avait atteint une forme de plénitude créative digne des plus grands de la musique d’ici. Sur ce morceau-titre de l’album, Daniel Darc – épaulé à la réalisation par son nouveau complice d’alors, Laurent Marimbert – livre une valse absolument bouleversante, une de ces chansons qui vous dénudent l’âme et le cœur et semblent faire rejaillir un peu de leur majesté sur nous autres, modestes auditeurs nous aussi comme touchés par la grâce. Tout de douceur grandiose, d’une impeccable justesse même dans ce chant murmuré qui parfois titube et se voile, La taille de mon âme s’élève comme une volute éclairée par les néons, seule et belle dans le soir. La phrase empruntée aux Enfants du paradis qui la clôt résume parfaitement l’ensemble : « Je ne suis pas belle, je suis vivante, c’est tout ». Texte original publié le 21/03/2019.
Daniel Darc – La taille de mon âme
92. Gil Scott-Heron Me and the devil (2010)
Revenu de nulle part pour un dernier tour de piste magistral avant le clap final, Gil Scott-Heron se frottait ici aux fantômes de Robert Johnson, rhabillant un classique du bluesman maudit d’arrangements trip-hop pénétrants comme le meilleur de Tricky. Avec sa voix froissée par l’âpreté du monde, Scott-Heron semble ici bien décidé à solder les comptes d’une vie passée à tomber et à se relever et emmène l’auditeur vers une sorte de plongée lynchienne, résolu à aller regarder le Diable au fond des yeux avant, peut-être, de le rejoindre.
Gil Scott-Heron – Me and the devil
91. Angel Olsen Stars (2014)
Première – et loin d’être la dernière – apparition de l’Américaine dans ce classement, Stars affiche quelques-unes des grandes qualités de la jeune femme, sans conteste une des songwriters majeures à s’être révélée durant la décennie écoulée. Stars brûle d’une intensité vibrante, parsemée d’éclats électriques qui génèrent une impression mêlée de chaos et de maîtrise. La dame joue déjà à merveille de ses capacités vocales, bien consciente de la force de son organe, mais semble à tout moment capable de lâcher la bride aux forces qui la possèdent. Le morceau avance ainsi sans structure bien définie, enroulant ses guipures de guitare autour d’une rythmique qui évoque clairement le battement d’un cœur, ralentissant ou accélérant en fonction des émotions qui le traversent.
1 réponse
[…] 100-91 […]