Mes années 2010 : 120-111
120. Lana Del Rey Video games (2011)
Avec ce titre accompagné d’une imagerie parfaitement maîtrisée (du look au vidéo-clip), Lizzy Grant se réincarnait en Lana Del Rey et lançait une décennie qui la conduirait plus haut encore qu’on l’aurait cru. Près de dix ans plus tard, Video games n’a rien perdu de son charme vénéneux. La cloche qui retentit dès l’entame du morceau semble marquer l’entrée dans un monde fantasmé, une illusion de bonheur suintant l’ennui et la violence larvée, et recouvrant d’une patine lustrée de brillance des fêlures qui ne demandent qu’à se distendre. Certains ne retiendront que l’artificialité et la composition, mais on y verra plutôt l’irrépressible désir teinté de désespoir de repeindre le monde pour le rendre plus supportable.
119. Neil Halstead Bad drugs and minor chords (2012)
Outre ses passionnantes aventures avec Slowdive ou Mojave 3, Neil Halstead publie de loin en loin des chansons sous son propre nom comme sur cette merveille de Palindrome hunches paru il y a déjà huit ans. Sur ce disque feutré brille tout spécialement cette chanson baignée de l’ombre et la lumière des frondaisons. Un piano léger ouvre le bal sur un faux air de ritournelle avant qu’un violon folâtre ne semble faire voler sous sa brise une nuée de feuilles mortes. Bad drugs and minor chords est une précieuse chanson d’automne, qui dépose sur nos yeux et sur nos cœurs un éventail de couleurs changeantes et de mélancolie ténue.
Neil Halstead – Bad drugs and minor chords
118. Sean Rowe Spiritual leather (2014)
Sur son quatrième album dont j’ai déjà célébré par ici les mérites, l’Américain Sean Rowe plaçait – entre autres beautés – cette somptueuse ballade dont le dépouillement austère révèle l’inépuisable richesse. Soutenu par une production façonnant une proximité troublante, Sean Rowe n’a besoin que de sa guitare et sa voix caverneuse – son arme fatale – pour littéralement nous saisir et nous attacher à son intérieur boisé et lumineux. La chanson semble nous confier des histoires aussi simples qu’immémoriales, et on y entend résonner les éternelles questions hantant le cœur des hommes tandis que le feu crépite au creux du foyer. Spiritual leather conjugue l’intime et l’universel avec une sobriété confiante, doucement engageante, réellement bouleversante.
117. Neneh Cherry Faster than the truth (2018)
Second extrait de son formidable Broken politics de 2018 à gagner sa place dans ce classement, Faster than the truth s’impose par tout ce qu’il dégage de gravité liquide, de noblesse flottante. Neneh Cherry navigue en majesté entre couplets rappés susurrés et refrains en apesanteur, l’ensemble forçant l’auditeur, sans appuyer, à une forme de recueillement, un silence contraint qui viendrait faire contrepoint au bruit incessant des “fake news” et des mensonges dénoncés ici sans trembler. Main de fer dans un gant de velours, le trip-hop 2.0 de miss Cherry regarde l’époque avec une acuité tranchante.
Neneh Cherry – Faster than the truth
116. Future Islands Seasons (waiting on you) (2014)
On gardera forcément en tête l’incroyable prestation du groupe – et de son leader Samuel T. Herring – sur le plateau du show de David Letterman mais, même sans cela, Seasons demeure une formidable chanson. La trame synth-pop tracée en ligne droite étoilée turbine à plein régime (la basse chauffe fort) mais se voit surtout proprement sublimée par l’interprétation du groupe, pétrie de lyrisme dense et d’une bouleversante sincérité. Samuel T. Herring évolue tout du long sur le fil ténu séparant la passion de la grandiloquence et donne à voir le spectacle d’un homme s’autorisant à laisser libre cours à ses émotions et assumant le fait d’exhiber ses fêlures. Seasons n’est rien d’autre que l’histoire d’une relation parvenue à une impasse mais, de ce sujet mille fois rebattu, le groupe de Baltimore fait un magnifique feu d’artifice, authentique et beau.
Future Islands – Seasons (waiting on you)
115. The War On Drugs Best night (2011)
Il y a quelques semaines, alors que le confinement semblait vouloir nous coller au bitume, ce morceau ouvrant le remarquable Slave ambient du groupe de Philadelphie ne cessait de me hanter, imposant dans mon quotidien immobilisé son inépuisable force motrice. Ici, la voix éraillée et enveloppante d’Adam Granduciel guide nos yeux vers l’horizon, la rythmique trace sans faillir et les guitares emmènent le reste de l’instrumentation, faisant scintiller la route comme la pluie le goudron. Sans s’embarrasser d’une structure couplet/refrain, Best night est un pur rêve de voyage, une trajectoire qu’on voudrait ne jamais voir s’achever.
114. Jessica Pratt Back, baby (2014)
Il me reste beaucoup à découvrir de la discographie de cette Californienne apparue en 2012 avec un premier album éponyme. Ce Back, baby fait scintiller dans mes oreilles depuis déjà quelques mois son folk cristallin, dont la pureté tournoyante se trouble d’un voile de mélancolie gracile. Sous ses airs impalpables et ses arpèges diaphanes, le morceau dégage une profondeur sans pesanteur, allant pêcher ses sortilèges du côté de Nick Drake, Joni Mitchell ou Sibylle Baier. La voix nasillarde de Jessica Pratt – qui se dédouble de-ci de-là – paraît flotter autour des cordes de la guitare acoustique et tisser une toile fragile comme la lumière du jour. On n’a pas fini d’y revenir et de, nous aussi, “prier pour la pluie”.
113. Jonathan Wilson Fazon (2013)
Sur cet album brillamment gargantuesque qu’est son Fanfare de 2013, Fazon affiche la facette la plus aérienne de ce diable de Jonathan Wilson. Morceau véritablement sur coussin d’air, quelque part entre Steely Dan et David Crosby, Fazon semble jouer à saute-moutons avec les nuages, tout de décontraction et de maîtrise mêlées. Les plus de cinq minutes du morceau passent comme une brise d’été : un saxophone serpente au milieu des interstices mousseux créées par les guitares et la rythmique et on se rêve, brin d’herbe au coin des lèvres, à regarder changer les couleurs du ciel. Voilà l’été.
112. Valerie June Twined & twisted (2013)
Il suffit de bien peu à Valerie June pour accomplir beaucoup sur ce sommet de son remarquable Pushin’ a against a stone déjà mentionné plus haut. Avec quelques accords de guitare redoublés et ce chant profondément expressif, à peine dédoublé d’un écho lointain, la jeune femme fait le vide autour d’elle et impose à l’auditeur un silence recueilli, une gravité abyssale. Grande chanson de blues intemporel, Twined & twisted semble poussée sur les cendres d’un moment de solitude intense, née aux portes du découragement, et pourtant, son doux balancier entêtant atteste que la jeune femme est bien résolue à continuer d’avancer. Poignant.
Valerie June – Twined & twisted
111. Destroyer Girl in a sling (2015)
Je n’aurai de cesse de clamer mon amour pour le fantastique Poison season de Dan Bejar, déjà représenté plus bas – et plus haut – dans ce classement. Un peu comme le Back, baby de Jessica Pratt, Girl in a sling figure une sorte de condensé (à peine plus de trois minutes) de pureté et de magnificence. Chanson d’aube ou de crépuscule, selon nos humeurs, Girl in a sling joue avec l’ombre et la lumière, pour tour à tour dévoiler et occulter ses innombrables beautés. Bejar déambule sous les éclairages changeants d’arrangements somptueux, vieux sage ébahi par l’ampleur de ce qu’il ne saura jamais et tout ce qu’il lui reste à découvrir. On accordera une mention spéciale à l’extraordinaire incipit, qui nous rappelle qu’on devrait toujours s’accorder le temps de compter les étoiles et à cette punchline si caractéristique du bonhomme qui claque de toute sa poésie : “Oh it sucks when there’s nothing but gold in those hills”.
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