190. DIIV Bent (roi’s song) (2016)
En trois albums, le groupe mené par Zacharie Cole Smith a imposé ses guitares vaporeuses et ses tourbillons soniques dans le paysage de l’indie-rock des années 2010. Extrait du deuxième LP du bonhomme, ce Bent (roi’s song) condense à merveille le meilleur de cette musique amniotique, où une voix blanche est ballotée par des rafales de guitare électriques et hypnotiques. On pense forcément au My Bloody Valentine intouchable de Loveless (en mode mineur) et on n’oubliera pas de souligner la complexion troublante et maladive de cette musique, qui reflète la lutte difficile menée par son auteur contre de lourdes addictions psychotropes.
189. Bertrand Belin Neige au soleil (2010)
Deuxième titre déjà dans ce classement pour le Breton minéral, pour lequel on reprendra ce qu’on écrivait dans ces pages le 29 mars 2019 : « C’est une chanson caillouteuse, sur laquelle les mots directs de Bertrand Belin paraissent trébucher. Une guitare et un piano ouvrent le chemin, un sentier de campagne descendant vers une route et sur ce sentier, le garçon court derrière la jeune fille, qui rit de se laisser courser dans l’air chaud. A 1’16, le garçon se fait la promesse de Julien Sorel dans Le rouge et le noir, celle de saisir la main de la jeune fille qui court et c’est alors que tout flamboie par la grâce d’une montée de cordes tendues droit vers le ciel. A la fois minérale et lumineuse, Neige au soleil brille comme une évidence belle et cahoteuse ».
Bertrand Belin – Neige au soleil
188. Foals Birch tree (2015)
Peut-être pas le morceau le plus aventureux des Anglais, ce Birch tree illustre pourtant parfaitement la maîtrise acquise par le groupe au fil de sa spectaculaire ascension, qui trouve une forme d’apogée avec ce très réussi What went down de 2015. Au galop frénétique des débuts succède une cadence racée, toute en intensité contenue et d’une efficacité redoutable. Le son s’est certes poli mais le groupe parvient à en tirer une pop à la fois grave et entraînante, dont la profondeur de champ se révèle au fil des écoutes. Ici, une guitare aux réminiscences funky se frotte à des textures électroniques, avant que le morceau ne gagne en ampleur passées les trois premières minutes pour atteindre les dimensions d’une pop grand format, naviguant avec bonheur entre puissance et mélancolie. On retrouvera Foals plus haut dans ce classement.
187. The Feelies Morning comes (2011)
Les années passent et la musique des vétérans d’Hoboken demeure toujours aussi pertinente, sa beauté toujours aussi cruciale. A leur train de sénateur, les Feelies auront quand même réussi à publier deux albums au cours des années 2010, deux albums qui méritent une fois encore plus que le détour. Sur Here before, ce Morning comes ressemble à une lente dérive en barque sur une rivière calme par une lumineuse journée de printemps. On pourrait ainsi passer des heures à regarder changer les reflets et les couleurs, à voir défiler sous nos yeux le paysage en même temps que les heures. Et ce doux balancement magnifié par ces guitares toujours impeccables nous emplit d’une forme de sérénité qu’on prendrait presque pour de la sagesse, la force tranquille de celles et ceux qui ont su faire du temps leur allié.
186. Miossec Samedi soir au Vauban (2014)
Sur son magnifique Ici-bas, ici-même, Miossec trouvait une forme d’équilibre idéal entre la rugosité de son verbe et la finesse de ses choix musicaux, avec notamment le concours de l’inégalable Albin de la Simone. Après des années passées à braver la marée, le roc breton se révélait magnifiquement érodé, plein d’une douceur minérale extrêmement émouvante. Sur ce morceau épatant, Miossec nous entraîne dans un renversant tango baigné de lumière crépusculaire, tout de sagesse cabossée. L’entame de la chanson est particulièrement remarquable avec la combinaison du pizzicato au violon et du chant tout en pudeur de Miossec. Les cordes et l’accordéon confèrent à la chanson une nouvelle ampleur une fois passée la minute et viennent nous serrer le cœur, le rendant d’autant plus sensible à tous les débordements. Superbe de vulnérabilité.
Miossec – Samedi soir au Vauban
185. Albin de la Simone Mes épaules (2013)
Longtemps précieux homme de l’ombre aux côtés de quelques fines plumes de la musique d’ici (Miossec, Alain Chamfort, JP Nataf entre autres), Albin de la Simone s’est affirmé au fil des albums commis en son nom un songwriter de haute volée. Sur son plus qu’estimable Un homme, le chanteur à particule ouvrait le bal avec cette splendide ballade condensant en à peine plus de trois minutes toute sa dextérité pop. Côté paroles, Mes épaules exprime en des mots simples et touchants tous les doutes susceptibles d’envahir les pensées d’un père quadragénaire, mêlant avec talent profondeur et délicatesse. Côté musique, le bonhomme construit autour d’une mélodie limpide à la guitare une cabane en cristal, où scintille un clavier sur rollers et des harmonies vocales d’une justesse exquise.
Albin de la Simone – Mes épaules
184. Justin Timberlake (feat. Chris Stapleton) Say something (2018)
C’est seulement en préparant ce billet que je me suis rendu compte à quel point ce Man of the woods, 5e album de Justin Timberlake dont est extrait ce Say something, avait été éreinté par la critique, cette chanson ne passant qu’à peine à travers les gouttes, surtout par la grâce du formidable clip en plan-séquence réalisé par l’équipe de la Blogothèque. Et bien, moi, j’aime bien cette chanson. Certes, pour un morceau intitulé Say something, les paroles frisent l’insipide mais le reste m’emballe : l’entrelacs de la guitare et des handclaps, les harmonies vocales entre Timberlake et la star de la country, Chris Stapleton, le crescendo, les inserts électro un brin planants, et au final, la façon qu’a Justin Timberlake de « poppiser » la country pour bâtir (une fois de plus) un tube d’une efficacité imparable.
Justin Timberlake (feat. Chris Stapleton) – Say something
183. David Bowie Where are we now ? (2013)
10 ans après sa dernière apparition discographique et alors que tout un tas de rumeurs entourait son absence, David Bowie revenait en beauté avec ce sublime morceau, envoyé en éclaireur de son vingt-cinquième album, The next day. On y entendait un Bowie perclus de mélancolie, posant un regard nostalgique sur son passé berlinois et s’avançant, inquiet et forcément un peu effrayé, vers la vieillesse, lui qu’on croyait détenteur du secret de l’éternelle jeunesse. Ce Where are we now ? empli d’humilité peut aussi s’entendre comme une question adressée à l’époque, qui résonne avec d’autant plus d’acuité dans les tourments de la crise actuelle et le flou qui semble plus que jamais entourer notre avenir commun : « Where are we now ? Where are we now ? The moment you know…, you know…, you know… ».
David Bowie – Where are we now ?
182. Jonathan Bree You’re so cool (2018)
Ce songwriter mystérieux et sophistiqué venu de Nouvelle-Zélande nous a subjugué avec son formidable album Sleepwalking paru il y a déjà deux ans. On y trouvait notamment ce génial morceau charriant une drôle de sensualité désincarnée, une forme de splendide isolement nourri de romantisme sombre et de mélodies lumineuses, le tout voilé d’un soupçon de détachement ironique. Sous son personnage de dandy masqué, Jonathan Bree figure ici une sorte de croisement entre Baxter Dury et Richard Hawley, avec une affolante ligne de basse, des arrangements de cordes soyeux et inquiétants et cette voix de crooner au charme troublant. Avec son beat implacable, You’re so cool ressemble au final à la bande-son idéale d’une soirée en solitaire, où l’étrange vertige qui saisit les danseurs finit par les projeter dans une quatrième dimension crépusculaire.
Jonathan Bree – You’re so cool
181. Fleet Foxes Helplessness blues (2011)
Chanson-titre du superbe deuxième album de la troupe barbue de Seattle, Helplessness blues aligne tous les atouts qui rendent si précieux le groupe mené par Robin Pecknold. Trois minutes durant, le morceau se déploie en crescendo porté par une nuée de guitares acoustiques carillonnantes et de somptueuses harmonies vocales somptueuses à faire pâlir Simon & Garfunkel. Puis le tempo change brutalement pour transformer l’ensemble en lente dérive aérienne, comme si le groupe avait atteint les hauteurs voulues après quelques minutes d’ascension. Le texte est un long monologue inquiet de Pecknold oscillant sans cesse entre émerveillement et abattement, gorgé de sidération incrédule face aux beautés et aux douleurs mêlées de l’existence. Un magnifique exemple de grâce fragile.