Le coup des Lapins
The Little Rabbits Dans les faux puits rouges et gris (1991, Single KO)
C’est du côté de La Gaubretière près de La Roche-sur-Yon, que Federico Pellegrini, Stéphane Louvain, Gaëtan Chataignier, Eric Pifeteau et Olivier Champain fondent les Little Rabbits dans le courant de l’année 1988. Le groupe commence par se produire dans les cafés vendéens où il éprouve ses premières compositions parmi un choix de reprises allant largement piocher dans la pop-rock anglo-saxonne défendue principalement alors par Les Inrockuptibles, des Housemartins aux Woodentops. Après plusieurs cassettes auto-produites, les Little Rabbits finissent par décrocher un contrat sur le petit label Single KO sur lequel paraît ce premier LP fin 1991.
Too many problems in my head / Too many reasons to stay in bed / You told me I would be your son, Mummy / And now you ask me to forget / Why can’t I stay oh
Help
Ils ne sont pas si courants alors les groupes français à se risquer sans craindre le ridicule sur les territoires d’un certain rock indé et à afficher ce mélange de finesse et d’érudition dans les influences qu’ils revendiquent. C’est avec une combinaison d’audace, d’innocence et d’esprit potache que nos cinq petits lapins se lancent dans l’aventure et relèvent le gant, avec l’enthousiasme et la maladresse de grands adolescents autorisés à réaliser leur rêve de jouer “pour de vrai” une musique qui ressemblerait à celles qu’ils écoutent. On croit même déceler une forme d’incrédulité ou de syndrome de l’imposteur dans cette façon qu’a le groupe de ne pas se prendre au sérieux, de préférer parfois simplement folâtrer dans le bocage en attrapant au vol une mélodie marrante (La mer) ou chauffer à blanc les claviers pour la joie de s’en laisser griser (Bad days). La musique des Little Rabbits se pare ainsi souvent de teintes enfantines et espiègles, une forme d’énergie empreinte de naïveté qui rend l’ensemble très attachant. On ne pourra néanmoins qu’admettre que cet enthousiasme foufou conduit à un certain éparpillement pas toujours bien maîtrisé, certains morceaux clairement moins aboutis laissant parfois à penser qu’un peu d’élagage aurait donné naissance à un EP formidable.
Les éléphants ils montent / Dans le bateau / Le bateau ne marche pas / C’est trop petit / Les éléphants tombent dans la mer / Plouf !
La mer
Mais ne boudons pas notre plaisir, car c’est bien un plaisir sincère que nous procure sur une bonne moitié des titres ce disque arborant sur sa pochette un nain de jardin au visage flou et vaguement inquiétant, symbole ma foi pas si mal trouvé pour cette musique bucolique au charme décalé mais pas entièrement dénué d’un fond de mauvais esprit affleurant de loin en loin. L’album s’ouvre par une triplette sans bavure, entre l’introductif A portrait of the nephew as a young thief et son riff à l’harmonica, ce The days she cries sous patronage Housemartins/Woodentops et surtout ce génial Help à la mélodie R.E.M-esque et au spleen douceâtre, charriant sous ses arpèges un cortège d’idées noires et de visions cauchemardesques (“Help / I’ve got a lobster in my head”). Cette forme de fragilité se retrouve plus loin sur le très beau The boy who never saw the light, morceau dont la pureté sans fard me touche énormément. A côté de ces petits trésors ciselés tout de simplicité gracieuse, les Little Rabbits s’offrent quelques moments plus débridés, le temps notamment d’une paire de reprises fort réussies. On trouve d’abord une relecture emballante du Karen des Go-Betweens, et je n’oublierai pas que c’est par cette reprise que j’ai d’abord eu vent de la musique des prodigieux Australiens. L’acoustique tendue de l’original devient une sarabande endiablée qui tournoie et emporte l’auditeur avec une fougue roborative. On trouve aussi une reprise de La mer, des Anglais underground de Jazz Butcher, comptine loufoque hilarante qui fait se dandiner devant nous une cohorte d’éléphants plagistes. Le morceau collera d’ailleurs un peu trop aux basques des Rabbits, réduits trop souvent à l’étiquette de groupe rigolo. Cette forme de loufoquerie se retrouve aussi sur la chanson-titre, partagée avec un autre Vendéen alors inconnu, un certain Philippe Katerine, qui harmonise avec le groupe sur cette histoire de nains de jardin en goguette sur les pelouses. A côté de ces vraies réussites, on trouve un patchwork de chansons plus inégales, dépeignées et sans grand charme. Rien de vraiment pénible dans ces Non c’e domani, Bad days ou N1 mais rien d’emballant non plus malgré la fougue et la vigueur démontrées par les Lapins.
Joe when you lost your head / Had you found the lover’s lane / Little Joe, I feel so lonely / I’m gonna take the other train
Bad days
Malgré son côté bordélique et ses imperfections, Dans les faux puits rouges et gris constitue une fort honorable entrée en scène, surtout dans le contexte alors désolé de la pop à la française. L’aventure des Rabbits prendra une autre tournure au fil de la décennie, qui les conduira à suivre un chemin assez passionnant jusqu’aux ambiances déjantées et rutilantes de leur dernier album, La grande musique paru en 2001. Mais c’est une autre histoire à raconter…