Ceci est son cœur

Daniel Darc Crèvecoeur (2004, Water Music)

Voilà bien un des plus bouleversants come-back auquel il nous aura été donné d’assister ces dernières années, et sans doute dans toute l’histoire du rock. On ne prétendra pas connaître grand chose de Daniel Darc. De Taxi Girl – groupe « culte » dont il fut le leader entre 1978 et 1986 – on connaissait évidemment Cherchez le garçon, plus un ou deux autres titres qui eurent brièvement droit de citer sur les radios d’ici (Aussi belle qu’une balle ou Quelqu’un comme toi) . De sa carrière solo, on se rappelle du clip de Nijinski mais à peine du morceau. On connaissait en fait surtout la trajectoire destroy de Darc et son groupe, les veines tranchées sur scène lors d’un fameux concert parisien en 1979, les addictions, la déveine, un séjour en prison même pour Darc. C’est donc peu dire que ce Crèvecoeur apparaît comme un prodigieux retour en grâce, le disque éclatant d’un survivant revenu en pleine lumière dix ans après son précédent album.

Avec la collaboration essentielle de Frédéric Lo, compositeur et producteur de l’album, Daniel Darc réussit un disque proprement étincelant. A chaque chanson, Crèvecoeur semble démontrer que l’économie de moyens ne nuit aucunement à la richesse de l’expression. Si l’ensemble de l’album brille par son sens de l’épure, Darc et Lo n’en usent pas moins d’une orchestration à la fois riche et subtile, mêlant guitares acoustiques et électriques, piano, clavecin, flûte et samples pour un résultat époustouflant de beauté. Chaque note semble à sa juste place et la texture des morceaux paraît emprunter à la fois de l’acier et du velours. Là-dessus, le chant de Darc crée une intimité troublante avec son auditeur, tant il se rapproche parfois du murmure ou de la récitation, procurant l’impression d’écouter un disque enregistré à la lueur de la bougie par deux hommes en pleine communion.

La religiosité de l’ensemble n’est évidemment pas fortuite, Darc revendiquant l’apport de sa conversion au protestantisme dans cette forme de « renaissance », tant humaine qu’artistique. Pas question pour autant d’un quelconque prêchi-prêcha cul-bénit, et comme chez Bob Marley, la force spirituelle des chansons impose le silence et le recueillement. La seule écoute de l’extraordinaire Psaume 23 conclusif devrait suffire à faire taire les sceptiques, et jamais en tous cas aura-t-on entendu de cette façon ces lignes bibliques pourtant si souvent rebattues. Mais si Daniel Darc trouve une part de son inspiration dans la Bible, il n’en oublie pas pour autant ses Évangiles rock, usant ça et là de citations comme autant de clins d’œil à Lou Reed (l’intro de Sad song reprise sur Psaume 23) ou aux Kinks sur Mes amis.

Difficile en tous cas de mettre en exergue un titre plutôt qu’un autre tant le disque est d’une excellence constante. Parmi nos préférés, on citera quand même le lumineux Rouge rose, l’exceptionnel Élégie #2 qui ajoute une dose de tragique au concerto d’Aranjuez, le sublime et désarmé Inutile et hors d’usage ou la mélancolie en goutte de pluie de Je me souviens, je me rappelle.

Daniel Darc livre ici un authentique chef-d’œuvre, dont on ne trouve d’équivalent dans la production française de la dernière décennie que chez Bashung ou Dominique A. Crèvecoeur reçut un accueil critique et public en accord avec ses qualités et relança complètement la carrière de l’ancien leader de Taxi Girl. En 2008, Daniel Darc a ainsi fait paraître Amours suprêmes, album d’honnête facture mais néanmoins bien loin des cimes de Crèvecoeur. En 2011 est sorti La taille de mon âme que je n’ai pas encore eu l’heur d’écouter.

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