Mes années 2010 : 140-131
140. The Maccabees Forever I’ve known (2012)
Je n’ai jamais réellement approfondi le cas de ce quintet indie-rock londonien mais parfois, une chanson suffit à éclipser le reste. Cet extrait du troisième album du groupe offusque à mes oreilles tout ce que les Maccabees ont pu produire autour et chaque écoute de Given to the wild, malgré d’indéniables réussites, me ramène toujours à ce morceau. Véritable chanson d’orage, Forever I’ve known se charge peu à peu d’une tension électrique à couper au couteau, coagulant tel un amas de nuages noirs que l’auditeur s’attend à voir se libérer en un éclair formidable. Tout finit par craquer avant que ne s’abatte un déluge de guitares rougeoyantes, dont le lyrisme soufflant dégage un horizon de grands espaces, un peu comme si Mogwai venait électrifier le meilleur de Coldplay.
The Maccabees – Forever I’ve known
139. Father John Misty Chateau Lobby #4 (in C for two virgins) (2015)
Opulence, flamboyance, prestance et un brin de concupiscence…, on retrouve tout cela sur ce formidable morceau extrait du deuxième album de Josh Tillman, alias Father John Misty. Après avoir laissé derrière lui les Fleet Foxes, l’ex-folkeux barbu est devenu une figure excentrique et brillante de la pop d’aujourd’hui, puisant au répertoire du rock seventies pour trousser des compositions hautes en couleurs, tour à tour émouvantes ou agaçantes. Chateau Lobby #4 trône incontestablement en haut de son panier doré. En moins de trois minutes, Josh Tillman délivre une déclaration d’amour drôle et touchante à son épouse, habillant le tout dans un costume d’arrangements somptueux, avec en point d’orgue autour de deux minutes une géniale envolée hispanisante du plus bel effet, où trompettes et cordes s’unissent pour un mariage en apesanteur.
Father John Misty – Chateau Lobby #4 (in C for two virgins)
138. Laura Mvula I don’t know what the weather will be (2013)
L’Anglaise Laura Mvula livrait en 2013 un formidable album aux idées larges, Sing to the moon, usant avec bonheur d’une solide formation classique pour naviguer avec une liberté bluffante entre les genres. Sur ce morceau littéralement aérien, la jeune femme effectue avec une légèreté désarmante un numéro de haute voltige. Laura Mvula semble entrer dans la chanson sur la pointe des pieds, Alice hésitante qui oserait timidement se risquer de l’autre côté du miroir, puis apparaît alors un paysage féérique, où résonne une musique séraphique, diaphane et pourtant diablement incarnée. Les arrangements sont magiques (harpe céleste en tête) et la voix pure et affirmée de la jeune femme se dédouble en une suite d’harmonies vocales à tomber, appel enchanteur à la perturbation des sens et magnifique effet synesthésique qui nous fait voir les notes en couleurs. Le temps s’annonce radieux.
Laura Mvula – I don’t know what the weather will be
137. Avi Buffalo So what (2014)
J’en ai déjà parlé plus bas, j’en reparlerai plus haut (et réciproquement). Après un premier album brillant paru en 2010, le groupe d’Avi Zahner-Isenberg faisait paraître quatre ans plus tard le grandiose At best cuckold. Single paru en éclaireur, So what a la souplesse et l’acidité du bois vert. Pas si éloigné de tout un pan adoré du rock néo-zélandais (Chills, Bats, Verlaines) par sa façon de tracer de magnifiques lignes de fuite en frottant sec les cordes de ses guitares, le morceau exsude tout ce qu’il faut de désir, d’envie, de rêve, de jeunesse, de frustration et de beauté pour faire résonner à nos oreilles un mélange unique de tension et d’émerveillement.
136. Alpaca Sports Just like Johnny Marr (2014)
Un peu comme pour les Maccabees mentionnés ci-dessus, je connais peu de choses de la discographie de ces poppeux Suédois mais ce peu suffirait à faire le bonheur de nombre d’amateurs de pop sentimentale. Il suffit en tout cas à faire le mien. Avec ses traits de cordes trempées de douce mélancolie, le chant ingénu d’Andreas Jonsson auquel font écho les chœurs vaporeux d’Amanda Akerman et cette référence futée à l’icône Johnny Marr, les Alpaca Sports ne peuvent ici que toucher au cœur, le temps de trois minutes trente douces-amères comme les amours adolescentes. Un bijou de candeur romantique qui fait mouche à chaque fois.
Alpaca Sports – Just like Johnny Marr
135. Jay Som One more time, please (2017)
La Californienne Melina Duterte, alias Jay Som, figure sans conteste une des belles découvertes de ces dernières années. Sur son fort recommandable premier album studio, Everybody works, ce One more time, please propose une pop rêveuse d’une maturité bluffante, charriant des sentiments lourds sous ses mélodies en volutes. Les textes du morceau n’évoquent que mal-être et intranquillité tandis que la musique de Jay Som nous désoriente à dessein dans une atmosphère embrumée. La voix susurrée de la jeune femme crée une proximité troublante et, à un peu plus de deux minutes trente, la chanson marque une pause avant d’éclater en un formidable solo de guitare, poignant et intensément vibrant.
Jay Som – One more time, please
134. Tindersticks See my girls (2019)
Point culminant d’un album riche en reliefs, ce See my girls démontre à quel point le groupe mené par Stuart Staples n’a rien perdu de ses talents d’alchimiste. D’une suprême élégance, See my girls avance en reptation, au fil d’un piano inquiétant conduisant l’ensemble. Autour de ce fil troublé, une guitare affûtée déploie d’enivrantes arabesques tandis que des drapés de cordes surgissent régulièrement de l’ombre en arrière-plan. See my girls figure ainsi la bande-son idéale d’un film noir rêvé, à la beauté noctambule et enfumée, fiévreuse et hypnotique.
133. Beach House 10 mile stereo (2010)
Avec leur grandiose Teen dream, le duo composé d’Alex Scally et de Victoria Legrand prenait sans conteste une nouvelle dimension, conférant une intensité et une puissance inédites à sa pop rêveuse. 10 mile stereo reflète à merveille cette évolution, tant le morceau atteint des sommets d’amplitude fiévreuse. Tout du long de ces cinq minutes, 10 mile stereo semble se dilater en même temps qu’il s’échauffe. Les guitares et les claviers rougeoient progressivement, comme les anciens filaments qu’on trouvait dans les ampoules, et le chant tout de lyrisme débondé de Victoria Legrand porte le tout à incandescence. Au final, un déferlement de batterie vient faire trembler le morceau sur ses bases, et la pop autrefois envapée de Beach House vient se frotter aux flammes de quelques fameux incendiaires adorés (de Galaxie 500 à My Bloody Valentine en passant par Mogwai). On n’a pas fini de recroiser Beach House dans ce classement.
132. Cass McCombs Bum bum bum (2016)
Déjà croisé plus haut, Cass McCombs sortait en 2016 ce qui constitue à mes yeux jusque là son meilleur album, ce Mangy love brillant de constance et de classe. Le disque s’ouvre sur ce génialement entêtant Bum bum bum, dont la fausse allure lénifiante ne parvient pas à masquer l’efficacité diabolique. Superbe de décontraction, Cass McCombs livre un monologue au vitriol sur l’état de son pays (racisme endémique, corruption, violence…) par le biais d’un folk-rock d’un classicisme magistral. La chanson déploie autour d’un accord en boucle de subtiles variations qui au final font vibrionner l’air et tournoient autour de l’auditeur comme un nuage de flammèches brûlantes, un essaim de vers luisants empoisonnés.
131. Villagers Courage (2015)
Fort et humble, ce sont les deux qualificatifs qui me viennent à l’esprit à chaque écoute du merveilleux troisième album des Villagers, Darling arithmetic, et tout particulièrement quand résonne ce Courage en or massif qui lui sert d’ouverture. D’une honnêteté bouleversante, Courage constitue pour Conor O’Brien, l’homme-orchestre des Villagers, une mise à nu radicale, une formidable affirmation de soi sur laquelle le bonhomme fait le choix de s’exposer sans fard à la face de l’auditeur. Austère et lumineux, Courage – comme le reste de l’album – s’appuie sur une instrumentation dépouillée que viennent subtilement enluminer des arrangements discrets d’une infinie justesse, placés là pour souligner le propos avec finesse et modestie. Courage ou l’art précieux de d’exprimer simplement les sentiments les plus complexes.
1 réponse
[…] 140-131 […]