Mes années 2010 : 150-141
150. Kurt Vile Bassackwards (2018)
Déjà croisé plus haut en compagnie de Courtney Barnett, le guitariste le plus cool de ces dernières années squattera plusieurs étages de ce classement. Tiré de son dernier album en date, Bottle it in, Bassackwards nous embarque pour une lente déambulation rêveuse, menée par une suite d’accords de guitare répétitifs et le chant tout de nonchalance ébahie de Kurt Vile. En arrière-plan frémit toute une végétation de sonorités étranges qui déroule un tapis aérien sous les pas de la mélodie. Le morceau n’en finit plus alors de traîner merveilleusement en longueur, nous enveloppant dans une sorte de cocon d’où l’on peut observer la folie du monde alentour. L’espace de dix minutes, plus rien ne peut nous atteindre.
149. Damon Albarn Hostiles (2014)
Damon Albarn demeure pour moi un drôle de casse-tête : tantôt insupportable, tantôt touchant, intéressant dans ses ratés, insipide (parfois) dans ses triomphes, humble ou orgueilleux, passeur modeste ou fier-à-bras. Dans son parcours d’hyperactif, son album solo de 2014, Everyday robots, constitue à coup sûr une belle réussite, disque fragile et dépouillé donnant à voir le bonhomme dans son plus simple appareil, pause contemplative dans une discographie pléthorique. Sur Hostiles, on retrouve un Albarn d’une infinie délicatesse, le temps d’un morceau à la lenteur lunaire, comme harassé par la beauté et les douleurs du monde. La mélodie menace sans cesse de s’effilocher à l’image de ces notes de piano qui s’égrènent comme de rares flocons un soir d’hiver. Une tendre volée de cordes jette un voile de nuit sur l’ensemble mais c’est bien la voix de Damon Albarn, si souvent crispante, qui bouleverse ici, douce et belle à en pleurer.
148. The Drums Days (2011)
L’album Portamento des Drums affiche à mon goût l’une des plus exaltantes ouvertures de la décennie écoulée. L’enchaînement des quatre ou cinq premiers morceaux du disque est un vrai bonheur d’où émerge ce génial Days. Dans la plus pure tradition pop, le groupe mené par Jonny Pierce mêle musique enjouée et textes déprimés, la chanson évoquant rien moins que l’inéluctable détachement qui guette tant d’affaires de cœur. Propulsé par une basse en majesté qui emporte le morceau derrière elle tout en lui donnant une pulsation unique, Days baigne dans une drôle de lumière estivale mais celle qu’on imagine volontiers accompagner la fin des amours de vacances, le retour à l’ordinaire du quotidien et les adieux. Douloureusement romantique.
147. Daniel Darc Vers l’infini (2011)
Une des grandes figures du rock tragiquement disparues durant la dernière décennie, Daniel Darc ne pouvait tirer sa révérence que sur un geste d’une suprême élégance. Ultime chef-d’œuvre publié de son vivant, son album La taille de mon âme révèle à chaque écoute l’éclat de sa magnificence. Sur ce disque tendu de nuit, Vers l’infini scintille comme une étoile polaire. On y entend un Daniel Darc intime et bouleversant, jouant au piano, une fesse posée sur un tabouret, une ballade noctambule et solitaire douce comme une caresse. Vers l’infini nous berce dans l’évidence de sa mélancolie, dans la contemplation de l’inéluctabilité du temps qui passe, des morts qui s’accumulent. Mais le morceau affiche une telle douceur qu’il parvient à ne jamais être plombant, flottant autour de nous avec la légèreté d’une plume. Rendre légères les choses pesantes, ce n’est pas le moindre des miracles que pouvait réaliser cet immense bonhomme, qui manque énormément.
146. Sharon Van Etten Every time the sun comes up (2014)
Chanson par laquelle j’ai découvert l’épatante Sharon Van Etten, Every time the sun comes up brille de mille feux pour clore le brûlant Are we there de la jeune femme, qu’on peut considérer comme l’album de la confirmation pour la native du New Jersey. Venant clore un LP baigné de tension, Every time the sun comes up fait figure de final relativement apaisé, la jeune femme se payant quelques traits d’humour pour le moins cash (“I washed your dishes but I shit in your bathroom”) et façonnant une ambiance résolument laid-back. Musicalement, Every time the sun comes up se veut plus vespérale qu’aurorale, déployant une instrumentation folk-rock nimbée de réminiscences pop, avec notamment cette batterie presque spectorienne qui introduit le morceau. Les guitares (dont celle d’Adam Granduciel des War On Drugs) tracent des zébrures dorées dans le ciel de la chanson mais c’est encore une fois la voix de Van Etten qui fait la différence, atteignant ici une forme de sommet dans la maîtrise et l’expression, usant de sa puissance avec une justesse d’orfèvre. Le morceau avance, majestueux et alangui, et semble tracer comme un avenir prometteur pour une chanteuse si souvent torturée. Le feu n’est pas éteint mais Van Etten semble en avoir gagné la pleine maîtrise et on peut penser qu’elle s’y brûlera moins.
Sharon Van Etten – Every time the sun comes up
145. Albin de la Simone Une femme (2017)
Au fil de ses albums, Albin de la Simone est parvenu à atteindre peu à peu des sommets de douceur et de justesse fragile d’une acuité bouleversante. Avec ce titre extrait de son dernier album en date, le bonhomme accède à une sorte d’équilibre idéal, délivrant une merveille de chanson flottante, légère comme une feuille ondoyant dans la brise automnale. Autour de trente secondes, une harpe magique vient faire onduler toute la trame mélodique du morceau, qui tout du long avance avec une délicatesse menaçant de rompre à chaque cahot. Sentimental et vulnérable, tout nu et un peu gauche, Une femme touche au cœur, précisément à hauteur d’homme. [texte initialement publié le 21 mars 2019]
Albin de la Simone – Une femme
144. Jonathan Wilson Can we really party today ? (2011)
L’album Gentle spirit de 2011 révéla à la face du monde l’immense talent du Californien Jonathan Wilson, déjà reconnu pour ses aptitudes de producteur et de musicien de session. Sur ce disque immense, on retrouve – entre autres – ce formidable Can we really party today ?, épopée au long cours qui débute comme du Neil Young pour se terminer comme du Pink Floyd. Le morceau mêle ainsi folk-rock boisé, baigné sous la lumière des frondaisons, et psychédélisme enfumé, pour au final nous transporter vers de vertigineux sommets. On recroisera le monsieur plus haut.
Jonathan Wilson – Can we really party today ?
143. The Black Keys Lonely boy (2011)
On l’écrivait déjà plus haut : El camino des Black Keys est sans doute leur album le plus efficace, véritable usine à tubes chromés dont sortit tout chaud cet incontournable Lonely boy. Ce morceau aura en tout cas amplement mérité son destin de hit planétaire tant le duo d’Akron emporte tout sur son passage en un peu plus de trois minutes chrono. Avec Danger Mouse en guise de troisième larron bien calé derrière les manettes, le groupe aura su choisir à merveille tous les bons ingrédients pour concocter sa détonnante potion : un riff garage hirsute et entraînant, un groove énergique compact et balancé, un orgue chaud comme une baraque à frites et un refrain avec des chœurs à entonner en chœur… Lonely boy figure donc un chouette hymne rock, jouissif et régressif, diablement malin aussi. De la belle ouvrage auquel on ne saurait résister.
142. Snail Mail Heat wave (2018)
Écouter Snail Mail, c’est se rendre compte que le rock n’a rien perdu de sa formidable capacité à véhiculer frustrations, désirs et mélancolie, toutes ces émotions fortes qui agitent si violemment les cœurs, notamment lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte (même si pas seulement bien entendu). Du haut de ses dix-huit ans, Lindsey Jordan livrait il y a deux ans un premier album brillant – Lush – affichant en étendard son lot de chansons renversantes. On aime ainsi d’amour ce Heat wave abrasif et vibrant, élégie électrique et électrisante pour une peine de cœur. Lindsey Jordan se révèle avant tout une guitariste superlative, allant puiser son inspiration dans l’indie-rock des années 1990, évoquant aussi bien Sonic Youth que les guitares fouettées de certaines grandes figures du rock des Antipodes (on pense parfois aux Verlaines par exemple). Et entre son chant qui parfois déraille et ses riffs aussi lumineux que décapants, la jeune femme rappelait une fois de plus que de l’urgence pouvait naître la plus touchante des grâces.
141. alt-J Breezeblocks (2012)
Le premier album des Anglais d’alt-J avait suscité un emballement certain du côté des critiques, que j’avoue n’avoir jamais totalement partagé, sans pour autant nier les qualités du groupe. Une chose est sûre, le trio originaire de Leeds avait visé juste avec ce morceau pour le coup assez remarquable. Avec ses percussions martiales déboulant par saccades, ses harmonies vocales faisant écho au chant nasillard de Joe Newman et son entrelacs complexe de sonorités agissant en arrière-plan, Breezeblocks (“parpaings” en français) charrie une violence sourde, évoquant plus ou moins clairement un corps-à-corps, une lutte dont l’issue pourrait bien être fatale si l’on en croit le clip réalisé par Ellis Bahl. Le groupe réussissait en tout cas la gageure d’amener sur les ondes cette chanson complexe et inquiétante, qui paraît tournoyer autour de l’auditeur tel un guerrier ninja s’approchant de sa prochaine victime.
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