La neige et le feu
Beach House Teen dream (2010, Bella Union)
Pour débuter cette nouvelle année en beauté, retournons aujourd’hui – déjà – dix ans en arrière, avec un album et un groupe qui ont chacun marqué la décennie écoulée. Il suffira pour s’en convaincre de se pencher un instant sur les innombrables bilans des années 2010 qui ont fleuri ces dernières semaines dans la presse et les blogs musicaux – tendance pop-rock – pour s’en convaincre. On célèbrera donc bientôt les dix ans de ce disque majeur, œuvre d’un groupe qui continue de tracer imperturbablement sa route depuis 2004, année de sa formation du côté de Baltimore, USA.
Anyway you run / You run before us / Black and white horse / Arching among us
Zebra
Sur ses deux premiers albums, Beach House (2006) et Devotion (2008), le duo composé d’Alex Scally et de Victoria Legrand (nièce d’un certain Michel, pour les amateurs et amatrices de potins) jouait une musique parcourue de vraies beautés, soigneusement recouvertes d’un nuage épais de brume givrée. Si l’ensemble dégageait un charme indéniable, troublant et vaporeux, la production et les compositions paraissaient parfois ankylosées si bien qu’on pouvait craindre que le groupe ne finisse par se rabougrir au fil des disques, sans jamais vraiment parvenir à sortir de sa coquille. Avec Teen dream, Beach House prend définitivement une nouvelle dimension, en même temps que le groupe signe chez les esthètes de Bella Union et s’adjoint les services du producteur Chris Coady.
As the sun grows high / And you serve your time / Does each day just feel like / Another lie ?
Used to be
Nées d’une longue tournée durant laquelle Scally et Legrand s’employèrent à donner peu à peu davantage de corps à leurs compositions, les chansons de Teen dream donnent à entendre un groupe bien décidé à dissiper le brouillard qu’il avait lui-même créé autour de sa musique. Celle-ci prend ainsi une ampleur inédite, une puissance insoupçonnée qu’incarne à merveille l’intensité qui habite désormais le chant de Victoria Legrand. Débarrassée de la brume qui obstruait la vue, la musique de Beach House révèle des paysages grandioses ouverts sur l’horizon. Le duo continue de tracer le sillon d’une pop rêveuse et mélancolique, dont l’aspect ouaté ne parvient cependant pas à masquer la fièvre qui l’étreint. Parcourant un territoire qui irait de Nico à Galaxie 500, de Mazzy Star à Sigur Ros, Beach House joue des chansons qui semblent éclore sous nos yeux comme des fleurs, dont on se demande stupéfait quelles formes elles prendront au final, quelles couleurs elles feront naître.
You say swimming in the lake / We’ll come across a snake / It is real and then it’s fake / Feel its heartbeat
Take care
L’introductif Zebra et ses arpèges argentés figure l’antichambre idéale à traverser avant de pénétrer le vertigineux palais des glaces édifié par le groupe. Les pièces cosy aux lignes harmonieuses révèlent rapidement un intérieur hanté par des sentiments bien plus troubles, peuplé de solitude et de mélancolie ardente, que l’auditeur arpente fasciné et désorienté à la fois. La guitare d’Alex Scally se mêle inextricablement aux nappes de clavier déversées par Victoria Legrand, dont la voix semble annoncer une implacable crue venant tout recouvrir, pour tout régénérer. Ce souffle majestueux, et cependant fragile, balaie ainsi le vibrant Silver soul, l’exceptionnel Walk in the park, chanson proprement géniale (une des plus belles des années 2010) qui semble se construire en même temps qu’elle se joue, ou encore l’enflammé 10 mile stereo, formidable titre à combustion lente qui finit par tout embraser. A côté de ces morceaux de bravoure, Beach House sait créer à l’occasion des climats plus intimistes, comme sur ce Used to be à la renversante beauté, mélange inusité d’ouverture et d’introversion. Plus loin, Better times dévoile sous son apparente placidité des trésors de finesse et de subtilité. Norway nous transporte au travers des paysages grandioses et nus, violemment accidentés, que l’on parcourt hors d’haleine tandis que, plus loin, le somptueux Real love vibre dans la nuit comme une dernière bougie refusant de s’éteindre. L’album se clôt sur le génial Take care, baume consolateur à la fin duquel Victoria Legrand répète ad libitum “I’ll take care of you / Take care of you / That’s true” comme pour conjurer l’érosion des liens unissant ceux qui s’aiment, avec la foi chevillée au corps qui donne le cran de refuser l’inéluctable.
They say we will go far, but they don’t know how far we’ll go / With our legs on the edge and our feet on the horizon
10 mile stereo
Je ferai donc à mon tour de Teen dream un album (très) important de la décennie passée, tant sa mélancolie enveloppante et son inépuisable profondeur de champ en ont fait un fidèle compagnon de mes humeurs. Beach House continue à faire œuvre d’embellir le monde de ses chansons depuis, affichant depuis quatre autres disques au compteur dont au moins un autre chef-d’œuvre, ce Bloom dont je parlerai sans doute un jour ou l’autre.
4 réponses
[…] leur grandiose Teen dream, le duo composé d’Alex Scally et de Victoria Legrand prenait sans conteste une nouvelle […]
[…] par la même occasion que l’impressionnante ascension réalisée avec son précédent Teen dream de 2010 n’était en rien une apothéose. La paire Scally / Legrand porte à son point […]
[…] autant l’annoncer tout de suite. Au fil de mes innombrables écoutes de cet inépuisable Teen dream, Walk in the park s’est imposée comme une sorte d’absolu de l’art délicat du […]
[…] n’est pas près de se lasser de leur magistral Teen dream sorti l’an dernier. Cette « Sorcière du Japon » jetait ses sortilèges sur le premier […]