La superbe
Lauryn Hill The miseducation of Lauryn Hill (1998, Ruffhouse)
C’est dès l’âge de treize ans que Lauryn Hill intègre les Rap Translators avec ses amis Pras Michel et Wyclef Jean. Parallèlement, la jeune fille décroche quelques rôles au cinéma (notamment dans l’inénarrable Sister Act 2) puis poursuit ses études à la prestigieuse Université de Columbia. Devenu les Fugees, le trio hip-hop sort un premier album – Blunted on reality – en 1994 mais c’est bien évidemment avec The score que le groupe touche le jackpot, avec notamment les tubes Fu-gee-la ou Killing me softly. Portée par le succès, Lauryn Hill se lance en solo en 1998 avec ce très réussi premier album.
Bien loin d’une maladroite déclaration d’indépendance cosignée avec les pontes d’une major souhaitant capitaliser sur son succès, Lauryn Hill livre ici un premier essai roboratif et émouvant, entièrement composé et produit par ses soins, et démontre du même coup un caractère en acier trempé. Mêlant soul, pop, hip-hop et R’n’B, Lauryn Hill réussit un épatant mariage entre insouciance et gravité, furieusement personnel et empli de nuances. Avec une voix à faire blêmir de honte toutes les bimbos factices du R’n’B, suave mais jamais guimauve, la jeune femme aligne confessions d’amoureuse blessée et coups de griffe divers – contre le star system ou certaines imbéciles habitudes viriles. Malgré un côté un rien moralisateur, la demoiselle emporte le plus souvent le morceau , l’ensemble étant suffisamment subtil pour qu’il en soit ainsi.
La cloche retentit à l’entrée de l’album, puis un Lost ones querelleur déboule, la belle y réglant d’emblée quelques comptes avec ses anciens camarades de jeu, sur un hip-hop à la fois heurté et remuant. Avec To Zion, Lauryn Hill proclame son amour pour son fils nouveau-né et à quel point celui-ci passe avant sa carrière. On pourrait craindre alors l’overdose de sentiments mielleux, mais un drôle de malaise m’étreint à chaque écoute tant la joie proclamée semble contre-balancée par la fêlure béante qui habite ici le chant. Ayant longtemps cru que la chanson faisait référence à une orientation religieuse, mon trouble n’en est que plus grand désormais à l’écoute de ces “My joy, my joy, my joy…” répétés ad libitum en fin de morceau, et sur lesquels Lauryn Hill semble pleurer autant que se réjouir, la joie d’une naissance paraissant s’accompagner d’une perte irréparable. Lauryn Hill se fait pareillement émouvante sur les superbes Ex-factor ou When it hurts so bad, mais la demoiselle se drape d’une robe multicolore avec l’exceptionnel Doo wop (that thing), irrésistible fable sur les rapports entre les sexes, et sur lequel Lauryn Hill se fait mutine et joueuse avec une classe prodigieuse. “Le goût de la pêche et Motown rattrapé par le rap” disait à ce propos l’inégalable François Gorin. On ne peut que souscrire.
Commercialement, le disque fut un triomphe, Lauryn Hill réalisant à sa suite une véritable razzia sur les Grammy Awards 1999. Un second album, dans la série MTV Unplugged est paru en 2002. La jeune femme demeure depuis un mystère, semblant s’être retirée du monde pour s’occuper de ses cinq enfants. Des rumeurs de nouveaux morceaux surgissent de temps en temps, mais rien de concret jusque là.