Elle et le monde
Courtney Barnett Sometimes I sit and think, and sometimes I just sit (2015, Marathon Artists / PIAS)
Après ces quelques semaines de traditionnelle pause estivale, le retour aux affaires sera ce soir plutôt rock avec ce premier album d’une des révélations de l’année dernière, l’Australienne Courtney Barnett. Repérée en 2013 par les prescripteurs hype de Pitchfork avec l’épatant morceau Avant gardener, lui-même issu de son non moins excellent Double EP : a sea of split peas, la jeune femme allait brillamment confirmer l’essai avec ce premier LP remarquable, au titre emprunté à une citation du créateur de Winnie l’Ourson en personne, Alan Milne. Je vous ai déjà prévenus plus haut, nous avons ici affaire à une collection de chansons à première vue extrêmement classiques stylistiquement parlant, Miss Barnett adoptant une ligne pop-rock fidèle aux canons du genre, basée sur l’incontournable triptyque guitare-basse-batterie. Mais, un peu à l’instar des agités de Parquet Courts (en moins expérimental toutefois), Courtney Barnett démontre que le rock à guitares dispose encore de réserves de séductions et d’originalité pour peu qu’on sache le manier avec suffisamment de talent. Car la jeune femme livre ici quelques-unes des meilleures chansons qu’on ait eu l’occasion d’écouter dans le genre ces dernières années.
My internal monologue is saturated analogue / It’s scratched and drifting / I’ve become attached to the idea it’s all a shifting dream / Bitter sweet philosophy / I’ve got no idea how I even got here / I’m resentful I’m having an existential time crisis, what bliss, daylight savings won’t fix this mess / Underworked and oversexed I must express my disinterest / The rats are back inside my head / What would Freud have said ?
Pedestrian at best
Courtney Barnett ravive la flamme d’un certain indie-rock des années 1990, rappelant notamment le rock débraillé et la nonchalance sublime des intouchables Pavement, mais on retrouvera aussi au fil de ces onze chansons une paire de riffs nirvanesques, des réminiscences de la Liz Phair millésime 1993-1995, des bribes du folk-rock aérien de Wilco ou des braises et des paillettes tombées des meilleurs morceaux des Breeders ou d’Elastica. Jamais cependant l’Australienne n’apparaît vouloir sonner « à la manière de » ; elle joue le style de musique qu’elle aime, celui qui convient le mieux à ce qu’elle veut exprimer. Cette simplicité confère à l’album une sorte d’évidence et une efficacité redoutable, encore renforcée par la cohésion qui se dégage du groupe qui entoure la jeune femme. A ces solides fondations indie-rock, Barnett ajoute de surcroît une double arme fatale pour se démarquer définitivement du reste du troupeau. En premier lieu, sa façon de chanter et souvent de non-chanter, ce flow tout en détachement, tantôt ironique, tantôt moulu, parfois rageur et qui nimbe les morceaux d’un halo de nonchalance canaille du meilleur goût. Et surtout, ce sont ces textes formidables, l’Australienne bourrant jusqu’à la gueule ses chansons de lyrics qui touchent parfois à la précision et à la finesse d’observation d’une nouvelliste, comme le génial Depreston. Barnett met en scène des tranches de vie – la sienne, souvent – dont transpire la difficulté de faire face aux choses de l’existence, d’affronter et de simplement comprendre le bazar à l’intérieur de soi, au moins aussi confus et épineux que celui qui paraît régner dans ce monde dévasté. Car si Barnett passe beaucoup de temps à regarder son cœur et son cerveau, elle ne manque pas non plus de jeter un regard acéré sur le monde comme il va – ou ne va plus – et une ligne au détour d’un couplet lui suffit parfois à dire autant qu’un article. Au final, on se bornera à constater qu’on tient là une bordée de sacrées bonnes chansons rock, accrocheuses et gouailleuses, tantôt pétulantes, tantôt mélancoliques, rarement décevantes et souvent plus profondes qu’on ne le penserait.
I see a dead seal on the beach / The old man says he’s already saved it three times this week / Guess it just wants to die ? / I would wanna die too (he said) / With people putting oil into my air / But to be fair I’ve done my share / Guess everybody’s got their different point of view
Kim’s caravan
Parmi les grandes réussites de l’album, comment ne pas citer en premier lieu le bouillant et bouillonnant Pedestrian at best, formidable coup de grisou à l’ADN mâtiné de grunge et de rock garage, et assurément meilleure chanson rock de 2015. Dans un registre léger, on dodelinera gaiement de la tête sur les impeccables Elevator operator, Aqua profunda ! (impayable séance de drague à la piscine) comme on succombera à la langueur entraînante de An illustration of loneliness (sleepless in New York). Mais Barnett sait donc aussi se faire plus grave, et on ne se lasse pas de cette merveille bleu nuit qu’est Depreston, ballade country-rock saisissante et tableau frappant de la décrépitude d’une ville à travers la recherche d’un appartement. On décollera aussi en rase-mottes avec les guitares en liberté du final de Small poppies, droit sorties du Brighten the corners de Pavement comme on s’échouera en bord de mer avec la morosité acide de Kim’s caravan, digne du meilleur Sharon van Etten et sur lequel quelques mots suffisent à Barnett pour dresser un constat noir de l’état de l’environnement et décrire le sentiment d’impuissance devant les dégâts faits à la nature, et ce sans jamais paraître un instant donneuse de leçons ou faire de grandes phrases définitives. L’album se clôt par Boxing day blues, ballade folk-blues à l’acoustique délavée, qui semble s’éteindre comme si Barnett avait dépensé toute son énergie, brûlé toute son essence. On espère qu’il lui restera de l’huile à consumer pour ses prochaines aventures.
1 réponse
[…] simplement d’être un cran en-dessous du formidable premier album de l’Australienne, ce Sometimes I sit and think, and sometimes I just sit dont chaque écoute paraît un toujours un peu affadir son successeur. On a bien conscience de se […]