Mes années 2010 : 170-161
170. Julia Holter Feel you (2015)
Il n’est pas toujours facile de pénétrer l’univers miroitant de Julia Holter, et j’avoue moi-même ne l’appréhender encore que par petites touches. Son Have you in my wilderness de 2015 mérite cependant plus que le détour, disque sur lequel se trouve cette merveille de pop orchestrale vaporeuse et éthérée. Miss Holter déroule sous nos pieds un tapis de clavecin autour duquel se déploient des arrangements de cordes veloutées, faisant surgir devant nous une île majestueuse trônant au milieu des nuages vers laquelle nous attirent irrésistiblement des chœurs de sirènes au charme irrésistible.
169. Tindersticks The amputees (2019)
Après plus de 25 ans de carrière, les Tindersticks démontraient l’an dernier qu’ils demeuraient d’une pertinence intacte avec un douzième album studio de toute beauté, No treasure but hope. On y retrouve notamment cette valse mélancolique et lumineuse, douce et entêtante, qui condense en un peu plus de trois minutes l’art précieux des Anglais : la voix grave et cabossée de Stuart Staples, une instrumentation mêlant richesse et subtilité et ce spleen rêveur et romantique, diapré de flamboiements. Une classe à part !
168. Cass McCombs Brighter ! (2013)
Le Californien Cass McCombs trace sa route entre pop tordue et Americana depuis maintenant une petite vingtaine d’années, enchaînant les albums à un rythme soutenu, entre le magistral et le plus dispensable. Sur ce Big wheel and others foisonnant paru en 2013, McCombs livre cette ballade lumineuse et acide à la fois, qui semble cacher sous les traits pénétrants de la pedal-steel de sombres pensées. La chanson avance comme on ouvre la route, dévoilant devant elle de grands espaces ou l’éclosion de l’aube mais reste en arrière-plan comme un fond d’inquiétude, une forme d’intranquillité accrochée dans le sillage. Le point d’exclamation qui semble enjoindre l’auditeur à se faire plus brillant recèle son lot d’ironie tandis que le chant de McCombs revêt son plus beau falsetto pour mieux faire scintiller sa nonchalance vaguement désabusée. On retrouvera McCombs un peu plus haut. On indiquera aussi que McCombs enregistra une version du morceau intégralement interprétée par l’actrice Karen Black peu de temps avant sa disparition.
167. Foals Spanish Sahara (2010)
Deuxième occurrence de Foals dans ce classement, Spanish Sahara est sans doute le principal moment fort de Total life forever, deuxième opus bouillonnant du groupe d’Oxford. Le morceau, construit comme une lente montée vers la déflagration finale, semble mettre en musique l’arrivée d’un raz-de-marée. La mer paraît d’abord se retirer et l’air se raréfier tandis qu’un silence inconnu s’abat sur le rivage. On aperçoit alors la masse d’eau qui obstrue l’horizon, qui avance et qui enfle, imposante et menaçante avant de déferler et de libérer une énergie destructrice. La vague s’abat ici à partir de quatre minutes, dans un déluge sonore rougeoyant qui laisse l’auditeur pantelant, et Foals confirme sa propension à se placer dans l’œil du cyclone, faisant souffler autour de lui son rock sauvage et ample.
166. Durand Jones & the Indications Morning in America (2019)
Ce quintet originaire de l’Indiana reprenait l’an dernier avec son deuxième album le flambeau d’une soul majestueuse et combative, digne héritière des grandes heures des maîtres seventies, de Bobby Womack à Marvin Gaye. Ce morceau dresse un portrait sombre et sans concessions des divisions qui minent l’Amérique trumpienne, entre tensions raciales et inégalités sociales (et vice-versa). Outre le chant de Durand Jones, impeccable de suavité pugnace, le morceau aligne une instrumentation satinée d’une justesse infinie, chaque élément s’emboîtant à merveille avec les autres pour former un ensemble remarquable d’équilibre. On appréciera ainsi les somptueux drapés de cordes comme la tiédeur lustrée des cuivres, la fluidité de la rythmique comme l’intensité du solo de guitare fuzz placée en fin de morceau.
Durand Jones & the Indications – Morning in America
165. Janelle Monaé Faster (2010)
Sur ce morceau extrait de son gargantuesque premier album, The ArchAndroid, Janelle Monaé nous embarque pour une cavalcade échevelée jouissive et évidemment brillante. La dame confirme ici son appétence pour les croisements savants et sa capacité à créer une musique mutante, projetant résolument dans le futur pop, jazz, R&B, hip-hop, musique de cabaret, funk et j’en passe. Avec une maîtrise vocale bluffante, Monaé chevauche une rétro-pop survitaminée, dont la rythmique trépidante soutient un écheveau mélodique et harmonique foisonnant, rempli de guitares entremêlées, de chœurs aériens et de cordes magistrales. Malgré son air entraînant, l’histoire est bien celle d’une fuite, d’une volonté de s’arracher d’une relation, sinon toxique, du moins trop pesante pour s’accorder avec les hautes aspirations de l’androïde messianique au cœur de ce disque soufflant. Un vrai manège enchanteur.
164. Girls Alex (2011)
Groupe remarquable et trop méconnu apparu au tournant des deux premières décennies de ce siècle, le groupe mené par Christopher Owens claqua deux albums (et un EP) fort recommandables entre 2009 et 2011 avant d’exploser en vol. Sur leur régulièrement superbe Father, son and holy ghost, ma préférence va à cet Alex irradiant d’électricité fragile, déclaration d’amour évoquant quelque chose comme la rencontre entre Suede (à son meilleur) et Galaxie 500, le temps de presque cinq minutes de romantisme ample. La guitare du dénommé John Anderson semble sculpter les contours de la chanson à coup de traînées brasillantes, tandis que le chant à la fois désenchanté et ingénu de Christopher Owens se languit dans une irrésistible mélancolie rêveuse. Et le morceau aligne en bonus deux merveilles de ponts suspendus auxquels on n’a pas fini de revenir accrocher notre petit cœur.
163. Nilüfer Yanya Baby luv (2018)
Après s’être fait remarquée avec une reprise culottée de l’intouchable Hey des Pixies en 2016, la toute jeune Londonienne Nilüfer Yanya a sorti une poignée d’EP avant un premier l’album paru l’an dernier, Miss Universe. C’est sur l’EP Do you like pain ? publié un an plus tôt qu’on retrouve cette ballade vibrante et nue. Armée d’une simple ligne de guitare électro-acoustique et d’une voix capable de charrier des émotions plus grandes que son âge (plus quelques percussions et un synthé fournissant un habillage discret), Nilüfer Yanya livre un morceau empli d’intensité rentrée, mêlant déception et colère contenue. Celle-ci finit quand même par déborder au terme de la chanson mais sans effusion excessive, comme quelques larmes qui couleraient sur les joues. Baby luv ou l’éloge du dépouillement.
162. Courtney Barnett Avant gardener (2013)
C’est avec ce titre épatant que l’Australienne Courtney Barnett se révéla à la face du monde il y a déjà sept ans. La jeune femme remettait au goût du jour le terme “slacker” et une certaine idée du rock indé des années 1990, le tout mêlé à un sens imparable du storytelling rigolo. Sur fond de guitares ébouriffées baguenaudant le long d’une rythmique métronomique, Courtney Barnett raconte, de son phrasé irrésistible d’inadaptée majeure aux vicissitudes du quotidien, une tentative de jardinage qui finira en choc anaphylactique. En un seul morceau, la jeune femme incarnait une nouvelle idée du cool et démontrait un songwriting à la fois précis et désordonné qu’on retrouvera plus haut.
Courtney Barnett – Avant gardener
161. Kevin Morby I have been to the mountain (2016)
Au fil d’une poignée d’albums fort recommandables, ce New-yorkais d’adoption s’est imposé au cours de la décennie écoulée comme une figure de proue d’une scène folk-rock renouvelée, aux côtés des Kurt Vile, Cass McCombs, Woods et autres. Sur son Singing saw de 2016, Kevin Morby atteignait une forme d’acmé, conférant une ampleur nouvelle à ses compositions en leur adjoignant notamment une instrumentation de plus en plus riche sans jamais être indigeste. I have been to the mountain est dédié à Eric Garner, dont la mort du fait d’une intervention policière violente suscita une vague de protestations et de manifestations anti-racistes, notamment suite au non-lieu prononcé à l’encontre des policiers suspectés. Musicalement, la chanson démarre sous des auspices folk avec cette guitare acoustique frottée nerveusement, avant de s’embraser sous l’action conjuguée d’un ensemble de cuivres et d’un chœur en surchauffe. Au final, le morceau finit par toucher les sommets, le temps d’un peu plus de trois minutes brûlantes et habitées. On retrouvera aussi le sieur Morby aux étages du dessus.
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