Les deux font la paire
Kurt Vile & Courtney Barnett Lotta sea lice (2017, Matador)
L’annonce de la rencontre artistique entre deux des songwriters les plus épatants de ces dernières années pouvait susciter autant de craintes que d’espérances. Si l’on débordait d’affection pour les exploits accomplis en solitaire par la jeune Australienne et le (moins jeune) gars de Philadelphie, on pouvait redouter que leur collaboration ne se révèle au final la simple juxtaposition de deux talents jouant chacun de son côté sans que la plus-value n’apparaisse réellement perceptible pour le fan. L’histoire du rock regorge de ces rendez-vous manqués souvent plombés par les égos et c’est justement grâce à une constante humilité (alliée à une bonne dose de talent) que Courtney Barnett et Kurt Vile allaient lever nos doutes, sans pour autant parvenir à atteindre les sommets de leurs meilleurs moments solo.
When I’m by myself and it’s daytime / cuz down-under / Or wherever it is I live when it’s evening / You know I speed-read the morning news / And come up with my own little song also
Over everything
Il faut bien avouer que le casting a tout pour séduire. Parangons de coolitude, chacune de ces deux têtes d’affiche peut aligner une bordée d’atouts de premier choix. A lui le folk-rock électrifié baigné de psychédélisme puisant autant chez Neil Young que chez Dinosaur Jr ; à elle, l’indie-rock incisif branché directement sur le meilleur des années 1990 et des dons de parolière aiguisés, portant sur le monde un regard décalé et acéré pour en mettre à nu toute l’absurdité et la beauté. Ce « marriage made in heaven » – pour paraphraser les Tindersticks – s’accomplit de surcroît sous les bons offices d’une équipe de fines lames, le duo pouvant compter sur la participation active de membres des Dirty Three (Mick Turner et Jim White), de Mick Harvey (Bad Seeds) ou de Stella Mozgawa (Warpaint). Née d’une amitié scellée au cours d’une tournée, la collaboration entre ces Kurt et Courtney d’un nouveau genre traduit à merveille la réelle complicité qui unit les deux larrons. Vile et Barnett s’échangent leurs chansons, se fendent de reprises diverses (comme ce Untogether empruntée aux anciennes gloires de l’indie-rock 90’s Belly) et mêlent leurs chants à la nonchalance exquise. Lotta sea lice apparaît par ailleurs comme un étonnant dialogue entre deux musicien·ne·s échangeant en public sur leurs situations respectives de songwriter professionnel, s’interrogeant l’un l’autre sur leurs recettes et leurs façons de faire, sur ce qui les meut et ce qui les effraie de cette vie passée pour partie sur la route et sous le regard des fans. Cette connivence joue pour beaucoup dans le charme de ces chansons et leur confère un halo de sympathie irrésistible.
What comes first the chorus or the verse ? / I’m a bit lost at the moment / They say the more you learn the less that you know
Let it go
Si Lotta sea lice nous réjouit par le plaisir que ses auteurs semblent prendre à le jouer, il ne faudrait pas pour autant oublier qu’il aligne son lot de morceaux fort recommandables. On citera en premier lieu le réjouissant Over everything, dans la lignée des pérégrinations folk-rock du B’lieve I’m going down de Vile en solo. Les guitares tracent la route et l’auditeur peut s’imaginer avec bonheur au volant d’un pick-up traverser les étendues du Texas ou de Californie. Meilleur morceau du disque, Over everything n’éclipse néanmoins pas le reste, à commencer par le rêveur et aérien Let it go, drôle de ballade ensommeillée aux envoûtant attraits. Lotta sea lice propose d’autres chansons baignant dans l’indolence, de l’enjoué mais anodin Continental breakfast au plus rugueux On script. Cette douce indolence flirte d’ailleurs parfois avec l’inconsistance (Blue cheese) mais fort heureusement, le duo se secoue le temps d’un Fear is like a forest abrasif ou d’un Outta the woodwork souple et robuste à la fois. Et avec Peepin’ Tom, un morceau du répertoire de Kurt Vile, Courtney Barnett fait vibrer des cordes bien plus sensibles en faisant apparaître une batterie de doutes et d’incertitudes qui vont si bien au teint de ses propres morceaux. La reprise finale du Untogether de Belly est plus anecdotique.
I don’t wanna give up / But I kinda wanna lie down / But not sleep, just rest / Give me a break / How much does it really take / To get my head out of here
Peepin’ Tom
On ne recommandera certes pas Lotta sea lice aux amateurs et amatrices d’émotions fortes mais si cet album ne bouleversera pas nos vies, sa drôle de langueur humble et canaille accompagne à merveille la lourde torpeur des après-midis d’été comme les dimanches pluvieux. Et au final, ses mélodies pot-de-colle un rien bancales s’assortissent parfaitement à nos propres moments de rêverie, ces heures où nos pensées papillonnent, entre ennui, contentement et mélancolie. Courtney Barnett a fait paraître un nouvel (excellent) album en début d’année, Tell me how you really feel, et Kurt Vile vient de sortir un nouvel LP, Bottle it in. Les deux ne sont jamais bien loin l’un de l’autre dans notre discothèque.
2 réponses
[…] fortes personnalités, Adam Granduciel et un certain Kurt Vile, dont il a déjà été question dans ces pages. Après un premier album remarqué paru en 2008, Wagonwheel blues, Vile décide de se lancer dans […]
[…] leur association n’a pas atteint les sommets fréquentés par chacun de son côté mais ce Lotta sea lice nous a suffisamment accompagnés ces dernières années pour n’en pas diminuer les mérites. […]