Après un hiatus de plus d’un mois, reprenons ce jour le fil de ce blog interrompu depuis trop longtemps en poursuivant le déroulé de mes tops 10 annuels. Nous nous projetterons aujourd’hui vingt années en arrière, avec une sélection qui fait une fois de plus la part belle aux artistes anglo-saxons et qui reste fermement ancrée dans un registre pop-rock (dans son acception large). Les francophones obtiennent cependant plus qu’un strapontin, avec les disques remarquables de JP Nataf et de Daniel Darc. On soulignera surtout que se côtoient ici artistes confirmés à la pertinence artistique intacte (Nick Cave, Sonic Youth ou les deux Français susnommés) et révélations réjouissantes (Laura Veirs, Arcade Fire, TV On The Radio) élevées depuis au rang d’artistes majeurs. J’ajouterai que le choix des 10 albums de ce millésime s’est révélé au final assez évident, seul le très beau premier album de Thomas Dybdahl m’ayant fait un temps hésiter. En bref, les 10 disques suivants sortaient clairement du lot, mais vous aurez peut-être un autre avis. En attendant, rendez-vous en 2004 (cliquez sur le titre en rouge pour écouter un extrait de chaque album).
Ce troisième opus de Devendra Banhart, à côté de son presque jumeau Niño rojo paru quelques semaines plus tard, aura propulsé ce musicien barbu paré de tout l’attirail hippie comme fer de lance d’un énième renouveau folk. En vrai, cet album touffu autant que lumineux vaut mieux que la panoplie de clichés qui ont pu l’entourer (guitare en bois, feu de camp, ganjah et gilet en poils de chèvre). Les chansons de Banhart mêlent leurs influences folk à des senteurs sud- ou centro-américaines et cette musique déploie tout un spectre d’humeurs (enfantines, rêveuses, inquiètes, fantaisistes) qu’on aime à endosser au fil de chaque écoute.
Revitalisé par l’adjonction au groupe de Jim O’Rourke, Sonic Youth affichait sur ce quatorzième album une forme olympique. Les impeccables New-yorkais offraient ici un lot de chansons énergiques et parfaitement charpentées, associant comme à leurs plus belles heures structures complexes et mélodies à siffler sous la douche. Au final, le fan appréciera un disque de haute volée, direct et ardent, souple et puissant.
Plus je l’écoute, plus il m’apparaît que ce treizième album studio du grand Australien et de ses mauvaises graines se classe parmi ses belles réussites. Double album dense et astringent, ce diptyque est rempli de chansons amples à la violence sourde, à la beauté sombre, qui dévoilent progressivement une impressionnante profondeur de champ. On se laisse alors embarquer avec délectation et une pointe de frissons dans une croisière maudite riche en sensations fortes, entre coups de tabac, créatures marines et vaisseaux fantômes, entre gospels enfiévrés et ballades grand format à vous faire chavirer le coeur et les boyaux.
Anglo-italien installé en France, Piers Faccini se révèlait surtout comme un formidable faiseur de beau avec ce premier album superlatif. Entre jazz, blues, folk, sonorités africaines, le remarquable bonhomme donnait à entendre un disque d’une beauté rare, d’une douceur et d’une profondeur peu communes. Chantées au plus près de notre âme, les merveilles de cet album en apesanteur se jouent des notes et du silence avec un égal bonheur, démontrant s’il en était encore besoin que l’intensité n’est pas affaire de bruit ou de débauche électrique, et qu’il suffit parfois d’un effleurement pour craqueler la surface des choses.
Affranchi pour un temps des Innocents, JP Nataf revenait avec un premier album solo d’une liberté de ton réjouissante. Entre pop aérienne et chanson française sans collier, Plus de sucre présente un merveilleux catalogue de figures libres, la grâce de ses mélodies n’ayant d’égale que la poésie buissonnière de ses textes. Un vrai bonheur aux mille saveurs.
C’est avec ce quatrième album studio que je découvris le talent sans pareil de Laura Veirs, Américaine élevée dans le Colorado. Avec sa voix claire et puissante, la jeune femme aligne ici une enfilade de chansons à la beauté sans âge, puisant aux sources intarissables des musiques populaires nord-américaines, entre folk, blues et country. Aucun passéisme cependant ici, Laura Veirs glissant de-ci de-là des arrangements d’aujourd’hui, notamment quelques touches électroniques, et ayant surtout la capacité à conférer à ses morceaux une ampleur intemporelle souvent bouleversante. Un grand disque d’hiver, rempli d’ombres et de givre, mais brûlant d’un inextinguible feu intérieur.
Malgré le chaos qui présida à l’écriture de ce deuxième LP des Libertines, le groupe mené par les frères ennemis Barat et Doherty réussissait à surpasser encore la brillance morveuse de son premier opus. Curieusement, dans ce contexte plus que perturbé, le duo de songwriters parvient à donner à ses morceaux une patine classique de haute tenue, alignant une évidence mélodique et une élégance déglinguée qui n’appartiennent qu’à lui. Vingt ans après, ces chansons bravaches n’ont pas pris une ride.
Dès leur premier album, les New-yorkais de TV On The Radio s’imposaient comme un fascinant équipage d’éclaireurs électriques. En mélangeant dans leur chaudron fumant un large spectre d’influences – de la soul aux guitares incandescences de My Bloody Valentine -, le groupe nous offrait un album régénérant, turbinant comme un réacteur nucléaire dont les radiations faisaient vibrer notre épiderme en profondeur. On ignorait encore que ce premier essai magistral annoncerait d’autres vertigineux chefs-d’oeuvre.
Avec la collaboration du précieux Frédéric Lô, Daniel Darc signait avec Crèvecoeur un des come-back les plus bouleversants de l’histoire du rock et, accessoirement, l’un des plus beaux disques enregistrés dans nos contrées. Ici, l’économie de moyens crée un écrin parfait pour la richesse des mélodies, la beauté des harmonies et se conjugue sans souci avec la richesse de l’instrumentation. Tout le disque se joue sur un fil ténu entre la fragilité et une forme de sérénité inquiète qui oblige à ne jamais baisser le regard sur ce qu’on est et à accepter ses défaites avec la tête haute. Disque de survivant, Crèvecoeur est surtout un disque miraculeux dont la beauté n’a pas fini de nous hanter.
Avec ce premier album tempétueux, sculpté dans la douleur et l’euphorie, les Canadiens d’Arcade Fire firent souffler un cyclone roboratif dans nos oreilles et dans nos discothèques. Lyrique et tendu, intense et opulent, intime et rassembleur, ce disque hors du commun faisait trembler nos coeurs, nos corps et les murs de nos appartements, nous donnant aussi bien envie de chanter ces hymnes à coeur fendre que de nous enfermer à double tour pour en profiter seul, à l’abri des regards. Pendant une bonne décennie, le groupe fut quasiment infaillible mais au bout du compte, Funeral reste son album le plus cher à nos coeurs. Comme le chante lui-même le groupe, « we found a light »...