Aux innocents les mains pleines
The La’s S/T (1990, Go! Discs)
Après avoir rendu un hommage aussi appuyé aux petits gars de The Coral, il ne me semblait que justice de louer ici la grâce d’une de leurs plus évidentes influences, ces autres lads de Liverpool passés comme une comète à la fin des années 1980, les uniques La’s.
Les La’s se forment originellement en 1983 autour d’un dénommé Mike Badger rapidement évincé au profit de Lee Mavers, d’abord simple guitariste rythmique qui s’impose rapidement comme tête pensante et songwriter du groupe. Une série de démos leur vaut d’être signé sur le label Go! Discs qui sort un premier single en 1987, l’excellent Way out qui passe inaperçu (même s’il est remarqué par un certain Morrissey). En 1988, le groupe fait paraître There she goes mais là encore ne décroche qu’un succès d’estime. The La’s entrent en studio pour enregistrer leur premier album mais très vite, le travail patine du fait de l’intransigeance fanatique de Lee Mavers. Craignant que la technologie et toute intervention extérieure ne viennent altérer la pureté de ses compositions et la perfection qu’il recherche, celui-ci use une demie-douzaine de producteurs. Insatisfait en permanence, Mavers renonce à mener cet enregistrement à bien mais le label, lassé de ces atermoiements et souhaitant un minimum de retour sur son investissement, décide de sortir les douze morceaux issus de ces sessions chaotiques, les confiant au bon soin de Steve Lillywhite. The La’s paraît donc en 1990. Le résultat est somptueux, la critique emballée, et There she goes, ressorti dans une nouvelle version, rencontre un succès bien supérieur qu’à sa première parution. Pourtant, Mavers est furieux et voue cet album aux gémonies, le qualifiant, entre autres amabilités de “pourriture technologique”.
Difficile de comprendre un tel aveuglement. The La’s présente l’hallucinant butin récolté par un formidable gang d’innocents aux mains pleines. Le compteur résolument bloqué entre 1962 et 1966, le groupe dégaine des mélodies d’une évidence rare, combinant pop et rhythm ‘n’ blues pour aller chercher des noises à ses idoles (des Who aux Beatles) avec morgue et élégance. Pas un groupe de la vague brit-pop surgie dans la queue de la comète La’s au mitan des années 1990 ne parviendra à approcher pareil jackpot. La musique semble s’écouler des doigts de Mavers et sa bande comme une source du flanc d’une montagne, et le son si décrié par Mavers se révèle fluide et cristallin, saisissant le mélange impeccable de grâce et d’énergie qui jaillit des guitares du groupe.
On ne saurait retenir un morceau plutôt qu’un autre parmi cet alignement de haut vol. Impossible néanmoins de passer à côté du somptueux (mais les qualificatifs manquent) There she goes, classique instantané masquant derrière ses arpèges célestes des paroles à tiroir révélant l’addiction à l’héroïne de Mavers : “There she goes again / Pulsin’ through my veins / And I just can’t contain”. En un peu plus de 35 minutes, The La’s pond les tubes en série, de l’introductif Son of a gun au nerveux et bagarreur I can’t sleep, de l’aérien Liberty ship aux détonants Failure et Way out, naviguant entre rhythm ‘n’ blues et rock garage. Le disque se clôt sur l’impressionnant et bouleversant Looking glass, fascinante construction en escalier explosant en son coda en un feu d’artifice psychédélique qui confine au sublime.
Obsédé par sa quête de perfection, perpétuellement insatisfait de son travail, Mavers sabotera de lui-même les La’s et son dernier fidèle, le bassiste John Power, quittera en 1995 un groupe depuis longtemps ballotté autour de la psyché instable de son leader pour fonder Cast. Depuis la parution de The La’s, on annonce régulièrement le retour en studio de Lee Mavers, qui s’est conféré au fil des années une réputation de “Salinger du rock”, refusant tout contact avec la presse et alimentant le fantasme d’un trésor d’inédits de haut vol qu’il continuerait de composer chez lui. Les La’s sont finalement réapparus pour quelques concerts l’an dernier (notamment à Rock en Seine), laissant une impression apparemment très mitigée à leurs fans. L’histoire est plutôt triste, reste cependant ce disque somptueux, beau et altier, et ses mélodies éternelles, dont l’influence n’a pas fini de se faire sentir et de susciter des vocations, de Peter Doherty à The Coral en passant par Oasis. On laissera le mot de la fin à Mavers lui-même avec ces paroles très significatives tirées du bien nommé Timeless melody :
The melody always finds me / Whenever the thought reminds me / Breaking a chain inside my head (…) / Ever the words they fail me / Oh look what it’s doing to me / I never say what I want to say.
3 réponses
[…] nerveuses et sublimes, quintessence pop après laquelle courront des générations de groupes. The La’s est bien une réussite éclatante et si le mutisme artistique subséquent de Mavers peut […]
[…] The La’s Son of a gun [1990, sur l’album The La’s] […]
[…] petits cœurs sensibles. Certains ont l’éclat de supernovas et deviennent légendaires (les La’s par exemple), d’autres sont moins brillants mais leur flamme n’en est pas moins […]