La délicatesse
Emiliana Torrini Me and Armini (2008, Rough Trade)
C’est en 1999 que je croisai la première fois la route d’Emiliana Torrini, via quelques titres charmants tirés de son Love in the time of science, troisième album solo de la jeune femme mais le premier à bénéficier d’une distribution hors de son Islande natale. Miss Torrini naviguait alors entre trip-hop et électro et j’avais gardé trace des envoûtants Dead things ou Wednesday’s child sur une de ces compilations sur cassettes que je me constituais à l’époque en écoutant l’émission du tutélaire Bernard Lenoir. Et puis je perdis la dame de vue, passant à côté de son Fisherman’s woman de 2004 malgré les critiques élogieuses entendues ici ou là. Je prêtai à peine attention à ce Me and Armini à sa sortie et ce n’est en fait que depuis quelques semaines que je me suis plongé dans la discographie de l’Islandaise.
It’s the ending of a play / And soon begins another / Hear the leaves applaud the wind
Birds
Après donc les paysages électro-pop de Love in the time of science, Emiliana Torrini revenait en 2004 avec un disque de folk gracile et fragile, le très beau Fisherman’s woman sur lequel je reviendrai certainement un jour. Me and Armini confirme que l’Islandaise n’est décidément pas disposée à se figer dans un moule, tant elle semble ici vouloir butiner aux différentes fleurs musicales passées sous son nez. Assistée comme sur son précédent opus du producteur Dan Carey, Emiliana Torrini – un peu à l’instar de Feist dont on célébrait les vertus ici il y a peu – élargit son territoire de jeu et insuffle par la même occasion un bon bol d’air à ses auditeurs charmés. Et si l’album repose toujours sur des fondations qu’on qualifiera rapidement de folk acoustique, son architecture se pare de bien d’autres influences, entre rock, reggae, bossa, teintes jazzy et nuances électro.
I walked all mornin to lift my heart / Cause the world keeps dancing with the paper man / I love you never talk in dreams / The now is here your happiness is real
Big jumps
L’album s’ouvre sur un Fireheads qui semble d’abord un brin engourdi avant de progressivement s’étirer pour finalement se déployer en beauté, mais le meilleur est à venir. Ce sera par exemple ce Me and Armini qui transporte les fragrances boisées du folk de l’Islandaise dans un rade enfumé de Kingston. Un peu plus loin, Emiliana Torrini se frotte avec bonheur à la grâce de la bossa, le temps d’un Hold heart à l’infinie délicatesse. Avec Big jumps, la demoiselle offre un morceau de pop-folk à la hauteur des voltes aériennes d’autres précieux Scandinaves, de Thomas Dybdahl à Peter von Poehl, le tout rehaussé d’un clin d’œil irrésistible au Walk on the wild side de Lou Reed. La grâce acoustique de la jeune femme irradie aussi le formidable Birds, qui nous prend sur son aile et figurerait la bande-son idéale d’une version onirique du voyage de Nils Holgersson. Emiliana Torrini sait aussi montrer ses nerfs à l’occasion, le temps d’un Jungle drum percussif et percutant ou d’un Gun d’humeur maussade, gorgé d’acidités électriques et évoquant les moments explosifs d’une autre inclassable Scandinave, la Norvégienne Stina Nordenstam. Et si quelques titres nous laissent un peu sur notre faim (Dead ducks ou Ha ha), le Bleeder final nous renvoie un instant en apesanteur, de belles volutes de silence s’élevant lentement devant nos yeux brillants pour accompagner le chant cristallin de Miss Torrini.
You’re a man humble as a hope / Lay with me / Closer to my body
Bleeder
Le nouvel album d’Emiliana Torrini est annoncé pour les prochaines semaines. On a pu retrouver la voix de la jeune femme sur le tout dernier album de l’estimable Albin de la Simone pour un magnifique duo mais c’est surtout l’imposant I go out entendu ces dernières semaines qui vient attiser notre impatience. La jeune femme semble avoir gardé intact son goût de l’aventure et on s’en réjouit.