Mes années 2010 : 160-151
160. Girls in Hawaii Switzerland (2013)
Second extrait du remarquable Everest des Belges de Girls in Hawaii à figurer dans ce classement, Switzerland donne à voir la Suisse sous un jour inhabituel. Loin des verts alpages et des culottes de peau, Switzerland se joue sous la tempête, quand le vent fouette les pics désolés et le ciel se pare de tous les tons de l’anthracite. Lent crescendo intense et beau, Switzerland se gonfle comme les nuages se gonflent de pluie, avant de déverser un formidable déluge sur nos oreilles conquises. Le groupe vient ici chercher des poux à ses prestigieux compatriotes de dEUS, autres tenants d’un rock tendu et sauvage. On est loin de la neutralité suisse.
159. Lykke Li I follow rivers (2011)
Tube planétaire du début de la décennie écoulée, I follow rivers est surtout une chanson pop renversante, baignée de mélancolie brumeuse et d’un fascinant mélange de noirceur et d’euphorie. Avec le madré Björn Yttling à la production, la Suédoise Lykke Li bâtit ici un morceau tenace et obsédant, porté par un assemblage de percussions dérangées, posées comme autant de chausse-trapes que la voix intraitable de Lykke Li esquive en beauté. Des nappes de clavier ajoutent des touches de gris en arrière-plan, paysage crépusculaire de ce chant d’amour et de perdition. I follow rivers se rehausse encore dans mon esprit pour servir de bande-son à l’une des plus fantastiques scènes de cinéma des dernières années, accompagnant la danse réjouissante d’Adèle dans le film d’Abdellatif Kechiche.
158. Courtney Barnett & Kurt Vile Over everything (2017)
Ces deux figures de l’indie-rock made in 2010s réussissaient il y a trois ans l’exploit de réunir leurs talents sans être décevants. On concèdera volontiers que leur association n’a pas atteint les sommets fréquentés par chacun de son côté mais ce Lotta sea lice nous a suffisamment accompagnés ces dernières années pour n’en pas diminuer les mérites. Pendant plus de six minutes, nos deux larrons papotent toutes guitares dehors, affichant une décontraction roborative. Comme le reste de l’album, Over everything est une chanson qui fait du bien, qui ensoleille une journée et qui s’accorde toujours aussi bien avec une ballade en voiture, la campagne et l’été défilant à travers les vitres. Blues-rock délicieusement cool, Over everything s’apprécie toutes fenêtres ouvertes, une douce brise sur la peau.
Courtney Barnett & Kurt Vile – Over everything
157. Bertrand Belin Entre les ifs (2015)
Sur ce qui est certainement ma chanson préférée du bonhomme, Bertrand Belin trace progressivement, depuis une structure mélodique répétitive soutenue par un roulement de batterie régulier comme les vagues, une série de motifs débouchant sur une impressionnante ligne de fuite. Le morceau semble flotter entre ciel et terre pour y accomplir d’aériennes figures exécutées avec la souplesse des grands rapaces. Belin joue par ailleurs à merveille du contraste entre la limpidité des couleurs et l’apparente opacité des paroles, qui paraissent encore une fois réduites à une forme de précipité du monde alentour. Et quand les notes de synthé résonnent à la fin du morceau, on est certain d’avoir respiré la fraîcheur des résineux dans la clarté du printemps.
Bertrand Belin – Entre les ifs
156. Andy Shauf Quite like you (2016)
Avant son excellent The neon skyline paru cette année, Andy Shauf nous avait déjà enchantés avec son précédent LP, The party. Le bonhomme faisait valoir un art du songwriting humble et précieux, mêlant arrangements subtils et storytelling délicat. Avec The party, le Canadien livrait un concept-album à hauteur d’homme, s’employant à décrire une fête à travers les yeux et expériences de ses différents protagonistes. Le disque regorge de belles choses d’où émerge ce sublime Quite like you, porté par une irrésistible ligne mélodique au clavier. A travers cette histoire de drague maladroite et de signaux mal interprétés, Shauf dépeint avec finesse comment une grande honte peut déboucher sur une petite fêlure (ou l’inverse), se faisant ainsi le chroniqueur discret des blessures du cœur et de l’âme, frère d’armes en cela d’un Ron Sexsmith ou d’un Kurt Wagner.
155. Avi Buffalo What’s in it for ? (2010)
On triche un peu sur la chronologie, cette chanson étant parue en single à la fin de l’année 2009 mais l’album sur lequel elle figure est, lui, sorti en 2010. Avigdor Zahner-Isenberg, le jeune homme à peine dissimulé derrière l’alias d’Avi Buffalo fût à mes yeux un des grands bonhommes de cette décennie 2010, ce que confirmera la suite de ce classement. Sur son premier LP éponyme, Avi Buffalo démontrait déjà une personnalité bluffante, distillant le long de l’album une pop psychédélique aux doux relents acides. L’album semble traduire le mélange d’euphorie, d’effroi et de colère qui accompagne le passage à l’âge adulte et ce goût de sève et de bois vert se retrouve sur ce formidable morceau. On ne sait trop s’il s’agit ici d’un coup d’un soir ou d’une histoire de cœur contrariée (peut-être les deux) mais What’s in it for ? se joue en haute altitude, entre volutes de guitares byrdsiennes et chœurs séraphiques. A l’instar de la végétation luxuriante figurant dans le clip, la chanson semble éclore progressivement devant nos yeux, déployant un paysage chamarré bigrement émouvant.
Avi Buffalo – What’s in it for ?
154. Benjamin Biolay Marlène déconne (2012)
Je sais qu’il ne faut pas abuser de l’auto-citation mais j’avoue avoir la flemme de chercher à réécrire différemment quelque chose que j’ai déjà écrit, je renverrai donc ici vers le texte que j’avais déjà commis sur ce grand moment “biolayen” il y a un peu plus d’un an : “De Trénet à Burt Bacharach, des Smiths à Public Enemy, Benjamin Biolay a toujours laissé libre cours à ses influences et n’a jamais hésité à transcrire l’éclectisme de ses goûts musicaux dans l’écriture de ses chansons. Sur l’album Vengeance, le natif de Villefranche-sur-Saône plaçait ce formidable et roboratif morceau électro-pop, incroyable chanson de fête foraine qui embarque l’auditeur sur son turbulent manège. Sur le motif rebattu de la femme fofolle, Biolay prend un plaisir communicatif à trousser une merveille de titre dansant et virevoltant, faisant notamment chauffer sous nos pieds un tapis de claviers multicolores du plus bel effet synthétique. Et c’est un vrai bonheur de voir un Biolay drôle et relâché, maître de cérémonie goguenard et classieux loin de ses habituels atours de chanteur taciturne et prétentieux.”
Benjamin Biolay – Marlène déconne
153. Paul Buchanan Cars are in the garden (2012)
A son rythme de sénateur, l’Écossais Paul Buchanan s’attache à délivrer depuis plus de trente ans une musique d’une beauté sans pareille, avec son fabuleux Blue Nile ou sous son nom. Comme à son habitude, le bonhomme se sera fait particulièrement rare lors de la dernière décennie mais son unique apparition en 2012 avec l’album Mid-air aura largement suffi à nous émerveiller. Difficile de ressortir un morceau d’un disque aussi homogène, tout entier taillé dans la nuit étoilée et les lueurs du crépuscule. On retiendra quand même ce Cars are in the garden (forcément) sublime, magnifique de dépouillement traversé de lumières et de silence. Piano et synthétiseurs crayonnent un paysage tout de clair-obscur au-dessus duquel flotte la voix grave de Buchanan, de laquelle émane un étrange mélange d’angoisse et d’éblouissement.
Paul Buchanan – Cars are in the garden
152. Prefab Sprout The dreamer (2013)
Le retour en forme de Paddy McAloon et de son Prefab Sprout aura été sans conteste un des vrais bonheurs de la décennie écoulée. Crimson/red est un album lumineux, subtil et nostalgique, comme ce formidable The dreamer qui porte on ne peut mieux son nom. McAloon bâtit une de ces constructions dont il a le secret, un palais des glaces dans lequel viendraient se retirer les rêves envolés et les amours enfuies. La voix de McAloon est toujours d’une infinie douceur et la mélodie au piano semble voleter de pièce en pièce dans ce véritable château dans le ciel édifié par le génial maître des lieux. Et au final, les atours célestes dévoilent une solitude brûlante et une mélancolie cruelle : “Where are your dreams ? / Did they all fade away / Lost in the cold light of day ?”…
151. Les Innocents De quoi suis-je mort ? (2019)
Autres grands revenants de la pop de ces dix dernières années, les Innocents ont su relever la gageure de réussir un come-back plus accompli encore que leurs premières années. Sur ce 6 1/2 fréquemment splendide brille comme un diamant ce morceau déjà établi à nos yeux au rang de classique. Avec cette façon bien à eux de suggérer plutôt que d’asséner, Jean-Christophe Urbain et JP Nataf accouchent ici d’une chanson tirée comme un trait bleu vers le ciel, à la fois éclatante et troublée. L’harmonie des voix des deux comparses n’a jamais paru aussi parfaite tandis que la pureté de la mélodie finit par nous mettre à nu, bouleversé par ces mots à la fois justes et elliptiques, cette mandoline frémissante au point de faire vibrer le monde sur ses bases. On n’a pas fini d’y revenir.
1 réponse
[…] 160-151 […]