Mes années 2010 : 180-171
180. TV On The Radio Will do (2011)
Groupe fondamental des années 2000, les New Yorkais de TV On The Radio n’ont pas cessé d’être pertinents une fois entamée la nouvelle décennie. Sur leur album le plus apaisé et lumineux jusqu’à lors, Nine types of light, les Américains plaçaient ce Will do fauve et romantique, ouvert et brûlant. TV On The Radio remise en partie la furie dévastatrice dont il est capable et use de sa science des effets sonores pour bâtir un échafaudage plus complexe qu’il n’y paraît, une chanson d’amour irradiée et funambule, portée par la voix de soulman futuriste de Tude Adebimpe.
179. Cate Le Bon Home to you (2019)
J’avoue n’avoir suivi que sporadiquement la discographie de la Galloise Cate Le Bon jusqu’à son dernier album en date, ce remarquable Reward paru l’an dernier. Sur ce disque dont on n’a pas fini de faire le tour, on trouve cette merveille de morceau funambule, qui progresse sur le fil d’une mélodie attrape-cœurs comme pas deux jouée au vibraphone. Une basse souple soutient l’ensemble, la dame déploie une instrumentation subtile en contrepoint et fait valoir une voix peu commune, un chant rêveur à la prestance d’aristocrate pour une chanson au final diablement hypnotique, longue marche addictive ouvrant sur tous les possibles.
178. Valerie June Somebody to love (2013)
Après des années de vache enragée, Valerie June dévoilait son premier album “officiel” aux yeux et aux oreilles du monde en 2013 avec son sublime Pushin’ against a stone. Un peu comme Ben Harper à ses débuts, la jeune femme allait puiser dans la tradition des musiques nord-américaines, entre blues, folk, country et gospel pour en démontrer une fois de plus l’inépuisable richesse. Sur cette ballade claire comme la rosée du soir, Miss June livre une sorte de country dénudée, au violon “appalachien”, qui semble se découper sur un fond de ciel étoilé. Les “I’ll be somebody” répétés ad libitum finissent par conférer à la chanson un air de mantra, une incantation par laquelle Valerie June chercherait à donner corps à sa promesse, dont la réalisation dépend bien davantage de celui ou celle à laquelle elle s’adresse que de celle qui la fait. Une grande chanson d’amour et de résolution.
Valerie June – Somebody to love
177. Alvvays Next of kin (2014)
Les Canadiens d’Alvvays sont sans conteste l’une des plus enthousiasmantes découvertes que j’ai pu faire ces dernières années. Je n’ai pris que tardivement le train en marche mais, une fois à bord, plus aucune envie de descendre. Next of kin condense toutes les qualités du groupe : une mélodie impérissable qui colle au cœur et au corps, des arpèges de guitares à tomber, la voix pure et puissante de Molly Rankin, des textes subtils mêlant le comique et le tragique, une dynamique ébouriffante… Sur ce précieux Next of kin, le flirt entre le garçon et la fille se termine en noyade, sans qu’on devine précisément ce qui a bien pu causer la perte du garçon. L’ambiguïté reste de mise mais l’auditeur finit lui aussi par plonger, ravi de s’immerger dans un bain de lumière réjouissant et réparateur. Alvvays fait du bien et on n’a pas fini d’en parler ici.
176. The Bats Walking man (2017)
Un peu comme les Feelies mais en encore moins connus, les Bats enquillent depuis plus de trente ans les morceaux et les albums formidables dans l’indifférence du plus grand nombre. Leur Deep set d’il y a trois ans mérite pourtant – comme la majorité de leurs productions antérieures – son lot de louanges, ne serait-ce que pour ce génial Walking man clair comme de l’eau de roche et au potentiel tubesque si évident qu’on se demande comment il a pu rester si scandaleusement ignoré. Comme son nom l’indique, Walking man trace sa route droit devant lui, fouetté par la pluie ou réchauffé par le soleil, sans que rien ne le fasse dévier : mélodie, batterie, chant, tout avance d’un même pas, tout est à sa place pour édifier un bijou pop de plus, digne héritier des grandes heures des Go-Betweens, de R.E.M. ou… des Bats eux-mêmes.
175. Beyoncé Hold up (2016)
J’en connais bien peu sur la discographie de Beyoncé, quelques titres à peine dont deux quand même ont fini par s’incruster sans discussion dans ce classement. Comme souvent, “Queen B.” rassemble ici autour d’elle une équipe de songwriters de haut vol, allant piocher aussi bien du côté du R&B que du rock indie. Avec donc Ezra Koenig (Vampire Weekend), Diplo et Josh Tillman (Father John Misty) en cuisine, la cheffe Beyoncé concocte ce morceau savoureusement épicé, empruntant aussi bien au rappeur Soulja Boy qu’au Maps emblématique des rockeurs new-yorkais Yeah Yeah Yeahs. La chanson révèle une Beyoncé entre colère et incompréhension face à la découverte de l’infidélité de son mari, le tout avec une économie de moyens étonnante au regard de la richesse de la production. Hold up séduit par cet air de ne pas y toucher, cette mélodie flottante et mouvante qui semble rebondir sur un rythme vaguement reggae, avec une Beyoncé impressionnante de maîtrise, qui conduit l’auditeur par le bout du nez au fil d’une interprétation sans tache.
174. Steve Gunn New familiar (2019)
Sur son excellent The unseen in between, Steve Gunn défouraille ce morceau virtuose et hypnotique, qui vous conduira lentement mais sûrement en lévitation électrique. Guitariste d’exception, Steve Gunn affiche son goût pour la musique indienne en construisant son morceau autour d’une boucle mélodique répétitive, qui sert d’épicentre à un formidable crescendo incendiaire. Au final, New familiar – qui évoque la paranoïa régnant sur l’Amérique trumpienne – évoque les grands embrasements de Television, rien moins, le temps d’un peu moins de six minutes de transe électrifiée.
173. Eugene McGuinness Sugarplum (2012)
Garçon très prometteur, le Londonien Eugene McGuinness n’a pas jusque là confirmé – commercialement parlant en tous cas – les espoirs nés de ses débuts virtuoses. Son Invitation to the voyage demeure néanmoins, encore huit ans après, un disque revigorant, avec en point d’orgue ce Sugarplum flambeur et flamboyant. Invitation à la fête (et ce littéralement), Sugarplum turbine et clignote pour nous emmener avec lui sur son manège enchanté. Rythmique survitaminée, harmonies vocales canailles, le tout serti d’une touche de cordes suaves qui viennent peu à peu faire mousser l’ensemble, Sugarplum regorge d’excitation et d’empressement et n’a pas fini de nous tournebouler la tête et les hanches.
172. PJ Harvey The last living rose (2011)
Malgré l’immense admiration que je porte à la dame, il me faut bien concéder que PJ Harvey a moins marqué la décennie écoulée que les deux précédentes, sur lesquelles elle planait haut au-dessus de la mêlée. Entre expériences artistiques diverses et un ou deux albums un peu en-dessous de son (exceptionnel) niveau moyen, la géniale PJ nous gratifia quand même en 2011 de l’excellent Let England shake. Album étrange et fascinant traitant essentiellement de l’Angleterre et de la guerre (grosso modo), Let England shake révèle une PJ Harvey plus explicitement politique qu’auparavant, s’attachant à livrer un portrait sans fard de son pays natal. The last living rose apparaît ainsi comme une célébration grinçante d’une Angleterre troublée qui allait quelques années plus tard sauter résolument vers l’inconnu. Les premières lignes de The last living rose revêtent ainsi une dimension quasiment prophétique au regard du Brexit (“Goddam Europeans / Take me back to beautiful England”). Avec son drôle de déhanché dégingandé, cette ballade, trouée par des cuivres jusque là inédits ou presque dans la musique de la dame, met à nu les fantasmes mortifères d’une Angleterre confite dans la nostalgie de sa grandeur passée. Et en même temps, la chanson est aussi une déclaration d’amour à la terre natale, dont on ne peut se détacher malgré ses douloureux défauts. La lucidité est une déchirure.
PJ Harvey – The last living rose
171. Neneh Cherry Kong (2018)
Si PJ Harvey a pu apparaître (relativement) en retrait durant la décennie 2010, on doit à Neneh Cherry un des plus réjouissants come-back de ces dix dernières années. La quinqua suédoise réussit en effet un retour aux affaires bluffant, d’abord avec le remarquable Blank project en 2014 puis avec ce formidable Broken politics de 2018. Premier single envoyé en éclaireur de cet album, Kong montre une Neneh Cherry aussi affûtée musicalement que politiquement. Sur un écheveau trip-hop digne des grandes heures du genre, co-construit avec le concours des fidèles Kieran Hebden (Four Tet) et 3D (Massive Attack), la voix de Neneh Cherry évoque l’injustice faite aux migrants et les tourments du monde avec un mélange unique de gravité et de prestance, tandis que scintille une ligne de piano à la fois austère et envoûtante. Se dégage de l’ensemble une beauté crépusculaire et grave qui nous laisse pantois.
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