Mes amours francophones : 170-161
170. Autour de Lucie Je reviens (2000)
Après deux premiers albums qui proposaient une belle traduction française d’une certaine pop anglo-saxonne, Autour de Lucie décidait à l’orée de ce siècle de troubler ses eaux claires à l’aide de sonorités électroniques sur son troisième album, joliment titré Faux mouvement. Malgré les réussites de ce disque, c’est bien ce somptueux morceau d’ouverture qui dominait l’ensemble de toute sa splendeur. Avec Je reviens, Autour de Lucie réalisait un spectaculaire décollage, gonflant l’incessant ressac de sa ligne mélodique par un impressionnant arrangement de cordes en majesté. Valérie Leulliot chante l’éternel retour de la mélancolie, les amours qu’on regarde lentement naufrager, l’appel du large qui se double du vertige de la noyade. On reste à contempler les vagues s’échouer sur les rochers en essayant de retenir le sable qui s’échappe entre nos doigts.
- Je reviens
- Et aussi : La ballade du déserteur
- Bonus : dans Les Inrocks, rencontre avec le groupe à l’occasion de la sortie de Faux mouvement en 2000
169. Miossec Désolé pour la poussière (2004)
Sur 2004, son album de la quarantaine, notre Breton préféré – enfin, parmi ceux qu’on ne connaît pas personnellement – trouvait un nouvel élan en allant frotter ses textes bruts à l’haleine chargée aux orchestrations majestueuses de l’arrangeur Joseph Racaille. Désolé pour la poussière constitue sans doute la plus belle réussite de cette combinaison gagnante. Lancé par quelques accords de guitare en arpèges, le morceau décolle brusquement sur un tapis volant de cordes tissé de main de maître par le joaillier Racaille. Plus la chanson s’élève, plus Miossec apparaît nu comme jamais, paraissant se délester des oripeaux de ses actes manqués dans la gloire des cordes et des cuivres. Il en finit même par laisser la chanson derrière lui, tandis qu’elle continue de planer en grande pompe pour s’évanouir dans les nuages.
- Désolé pour la poussière
- Et aussi : Pentecôte
- Bonus : une chronique de l’album 1964 sur le site Popnews
168. Suprême NTM La fièvre (1995)
Mon inculture rap apparaîtra sans doute comme une criante évidence aux yeux des vrais connaisseurs avec le choix de ce morceau, le plus commercial de NTM et l’un des moins enragés de l’album Paris sous les bombes et de toute la discographie du groupe jusqu’à lors. A mon échelle, alors que j’étais en pleine découverte de l’indie-rock et de cette « musique pas comme les autres » célébrée chaque soir sur les ondes de France Inter par le révéré Bernard Lenoir, cette chanson relevait la gageure de me faire dresser l’oreille pour autre chose que des guitares : un sample tiède pioché – ce que j’ignorais bien sûr alors – dans un vieil instrumental soul 70’s (My lady des Crusaders), ces narrations parallèles où chacun des deux comparses déroule le fil de son histoire, et bien sûr le flow incendiaire et sauvage de Joey Starr. Parfait mélange de lascivité et de rogne, La fièvre me donnait un aperçu – même lointain – de la vie d’une jeunesse qui n’était pas la mienne et dégageait une énergie ardente devant laquelle on ne pouvait que s’incliner.
- La fièvre
- Et aussi : JoeyStarr – Métèque
- Bonus : Rebecca Manzoni (encore elle !) vous raconte La fièvre à sa manière dans Pop & co
167. Édith Piaf L’accordéoniste (1940)
Ni amateur, ni connaisseur de Piaf, j’avoue que son évocation fait apparaître spontanément – et bêtement – à mon esprit des images grises et poussiéreuses, celles d’une dame au regard hagard dans sa petite robe noire austère et celles d’une chanson française en noir et blanc. Piaf vaut pourtant mieux que ces clichés jaunis et son répertoire est plus coloré que ces chromos délavés. Ainsi de cet Accordéoniste que déposa à ses pieds le caporal Michel Emer, terminant sa convalescence à Paris avant de repartir au front invisible de la « drôle de guerre ». S’il est question de java, il s’agit bien d’une valse que Piaf agrippe comme on s’accroche à son partenaire pour tourner et tourner encore jusqu’au vertige. Piaf habite ce rôle dramatique taillé à sa mesure et conclut bouleversante par un cri sorti tout droit du ventre, supplique déchirante qui voudrait faire cesser la douleur en même temps que la musique.
- L’accordéoniste
- Et aussi : Milord
- Bonus : extrait de Piaf, la vérité d’Emmanuel Bonini consacré à la chanson et visible sur Google Books
166. Marie-Pierre Arthur Droit devant (2009)
Avec Droit devant, formidable morceau tout d’électrisante euphorie, Marie-Pierre Arthur déboulait dans nos oreilles telle une tornade il y a déjà presque dix ans. La Québécoise livrait là une chanson merveilleusement haute en couleurs, brillant de toute l’énergie lumineuse d’une fête foraine. La jeune femme endossait d’enthousiasmants habits de tête brûlée pour s’en aller arpenter à bride abattue les territoires foulés par d’autres grands vivants, Radiohead et Arcade Fire en tête. Morceau pop aux idées larges, Droit devant se drape dans de magnifiques arrangements subtils et chamarrés, où un piano volage trace d’appétissantes lignes de fuite tandis que les cordes soulèvent la chanson et la font clignoter (ce pizzicato à l’entame du deuxième couplet…). Un grand moment de plaisir pur.
- Droit devant
- Et aussi : Chacun pour toi
- Bonus : rencontre avec Marie-Pierre Arthur dans le journal canadien Le devoir en 2009
165. Jérôme Minière Amoureuse non-encore médiatisée (1996)
Au milieu des années 1990, cet Orléanais depuis exilé au Canada figurait en bonne compagnie sur le catalogue hors classe du regretté label Lithium, aux côtés de Dominique A, Diabologum, Holden ou Mendelson. Le garçon délivrait un premier album bricolé et inventif, Monde pour n’importe qui, s’attachant à dépeindre sur des chansons-vignettes lunaires et décalées les tourments existentiels d’un jeune homme cherchant sa place dans le monde contemporain. Pas certain que ça fasse très envie dit comme ça, mais l’album dévoilait une personnalité réellement originale, quelque chose comme un caractère en construction. Ce matériau mi-brut mi-raffiné fait le sel de cette chanson mi-romantique, mi-politique, qui progresse en une spirale où tournoient boucles rythmiques, notes de guitare corrosives et piano inquiétant. Et au final, ce « décidément je suis amoureux d’elle » qui nous donnait envie nous aussi d’être amoureux.
- Amoureuse non-encore médiatisée
- Et aussi : Un avis de défaite
- Bonus : plus connu au Canada que par chez nous, Jérôme Minière vient de sortir un nouvel album, Dans la forêt numérique, dont il est question par ici.
164. Orelsan Dans ma ville on traîne (2017)
Deuxième apparition d’Orelsan dans ce classement avec ce titre-phare (de mon point de vue) de son très réussi dernier album en date. Dans un style qui n’a jamais été aussi proche du travail de Mike Skinner (The Streets), Orelsan livre une bouleversante déclaration d’amour vachard à sa ville, et pose un regard plein d’ironie affectueuse sur son passé et ce qui l’a construit. Orelsan excelle en chroniqueur d’une certaine jeunesse de province, où l’ennui côtoie les petits bonheurs du quotidien, où l’apathie ordinaire est aussi un rassurant cocon contre les agressions du monde, contre la vie des autres.
- Dans ma ville on traîne
- Et aussi : Christophe
- Bonus : Orelsan, rappeur intime
163. Doc Gynéco Dans ma rue (high for the chronic) (1996)
Là où Orelsan fait de Caen le ressort du regard nostalgique qu’il porte sur son passé, Doc Gynéco se place en immersion dans dix-huitième arrondissement parisien pour en livrer une merveille de description douce-amère. Sur une trame musicale toute en souplesse collant une ligne mélodique rappelant La fille du coupeur de joints de Thiéfaine sur une texture droit sortie du G-funk californien, le Doc promène le mélange de nonchalance goguenarde et de lucidité glaçante faisant tout le sel de sa Première consultation de 1996. Long traveling désenchanté et amoureux, Dans ma rue use de ses sonorités moelleuses pour ne rien masquer de la dureté du trottoir.
- Dans ma rue
- Et aussi : Nirvana
- Bonus : Pourquoi « Première consultation » est un classique
162. L’Affaire Louis Trio Mobilis in mobile (1993)
Si certains et certaines voudraient encore réduire L’Affaire Louis Trio au groupe marrant qui chantait Chic planète, on ne cessera de recommander ce petit bijou d’élégance qu’est Mobilis in mobile, l’album et bien sûr la chanson. Gemme brillant en vitrine de ce disque foisonnant et d’une profondeur rare dans la pop française d’alors, Mobilis in mobile, la chanson, étale une douceur résolue qui bouleverse et qui trouve sa plus belle expression dans ce pré-refrain sonnant comme le plus précieux des mantras : « J’irai voir, tôt ou tard, si les sirènes existent ». On en retiendra le timbre si juste du regretté Hubert Mounier – grand démiurge de ce disque ambitieux – , les arpèges de guitare grattées en incipit et cette explosion du refrain, feu d’artifice de couleurs projeté au-dessus des flots.
- Mobilis in mobile
- Et aussi : Le lit d’Hélène
- Bonus : une émission spéciale de Pop, etc. (de Valli) consacrée à l’album Mobilis in mobile à l’occasion de son 20e anniversaire
161. Louise Feron Tomber sous le charme (1988)
Figure libre et oubliée de cette galaxie française pop de la fin des années 1980, Louise Feron a semé en moi avec cette chanson une forme de graine d’éternité, qui semble-t-il en marqua d’autres, de François Gorin (cf. infra) à Dominique A qui reprit ce titre pour intituler son recueil de chroniques musicales. Sur des guitares cavaleuses, Louise Feron chante un sublime texte de renaissance, célèbre la joie de se voir bouleversée et communique parfaitement ses émotions à son auditeur, ravi de se voir embarqué dans ce tunnel carillonnant. Une chanson galvanisante comme le vent sur la peau.
- Tomber sous le charme
- Et aussi : L’ivresse des profondeurs
- Bonus : comme toujours, c’est François Gorin qui en parle le mieux
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