L’appel de la nuit

Interpol Antics (2004, Labels)

Interpol - Antics

Me voici de retour après quelques semaines de pause ; j’espère que mes estimé-e-s lecteurs-trices auront passé d’excellentes vacances, à tout le moins un très bon mois d’août. Pour cette reprise, je me pencherai aujourd’hui sur le deuxième opus des new-yorkais d’Interpol, dont j’ai déjà récemment évoqué le premier album, le remarqué Turn on the bright lights paru en 2002.

Touch your thighs, I’m the lonely one / Remember that lass, because that was the right one / Oh, all your mysteries are moving in the sun

Narc

Le groupe choisit ici de creuser le sillon tracé sur son premier LP. Interpol reste solidement campé sur ses positions et ses choix esthétiques : chant sépulcral de Paul Banks toujours aussi proche du timbre d’outre-tombe du défunt leader de Joy Division, guitares droit sorties du post-punk anglais début eighties, compositions portant haut la bannière d’un romantisme sombre et tourmenté. On ne trouvera donc pas ici de véritable surprise mais Interpol évite le piège de la simple et plate redite. Le groupe semble plutôt travailler au plus près sa matière première, se concentrer sur ce qu’il sait faire pour un résultat plus dense, plus compact. Plutôt que d’élargir son territoire, le groupe choisit d’en explorer chaque recoin et le disque s’avère au final une vraie réussite.

Along the way, tears guarding the wake of delight / There’s nothing like this built today / You’ll never see a finer ship in your life

Take you on a cruise

Alors que les contempteurs du groupe lui reprochaient (parfois à juste titre) de cultiver une noirceur de façade, un gothique de pacotille, il est intéressant de voir qu’Interpol n’hésite pas à enfoncer le clou dès l’incipit de son nouveau grimoire. L’album s’ouvre ainsi par une ballade ténébreuse, procession funèbre accompagnée dans sa progression par un clavier tout de noir vêtu, quelques touches de piano et le chant vénéneux de Paul Banks. Mais loin de nous faire fuir, cette ballade addictive révèle un Interpol plus fragile et touchant. Après ce Next exit inaugural, le ton se durcit nettement avec l’impeccable Evil : basse lourde, riffs rageurs et orageux, refrain imparable. Mais l’élévation viendra ensuite, avec le formidable enchaînement Narc / Take you on a cruise, morceaux superlatifs sur lesquels Interpol emmène l’auditeur dans une superbe et fascinante dérive urbaine nocturne emplie de mélancolie inquiète. Le groupe se montre sous son meilleur jour, quand les néons de la nuit semblent se refléter sur le cours de sa musique. L’époustouflant Take you on a cruise demeure en tout cas pour moi le sommet de toute la discographie du groupe. Après ce magnifique appel de la nuit, le groupe revient – malheureusement ? – à des choses plus terre à terre. Le tubesque Slow hands incorpore des éléments plus dansants à sa musique et figure un hit imparable mais sans surprise. La seconde moitié de l’album n’est pas tout à fait à la hauteur de la première, Interpol peinant à maintenir la tension et la profondeur affichées en début de disque. Not even jail reste une pièce de choix, brûlante et envoûtante et le terminal A time to be so small avance avec majesté et componction, mais des morceaux comme Public pervert ou Length of love sont un brin plus convenus malgré leurs qualités. On retiendra néanmoins le magnifique C’mere sur lequel, là encore, Interpol laisse transpirer une fragilité élégante très émouvante, notamment via les inflexions plus en nuances de la voix de Paul Banks, pour ce qui constitue peut-être leur chanson la plus touchante.

Oh, how I love you / In the evening, when we are sleeping

C’mere

Malgré ses imperfections, Antics n’en constitue pas moins à mes yeux la plus brillante réussite discographique d’Interpol. Le groupe restera toujours pour moi un cas de conscience : capable de trousser des morceaux imparables et percutants – malgré sa réputation initiale de groupe sans single – Interpol est aussi à même d’atteindre à une réelle beauté bien à lui, débarrassé du poids des comparaisons qui l’accompagnent. Take you on a cruise, Narc ou C’mere sont ainsi des chansons de premier ordre, diffusant un romantisme malade vibrant et intense. Dommage que le groupe n’atteigne ces sommets que par intermittence, demeurant ainsi bien loin des références (trop) écrasantes auxquelles son nom a souvent été accolé, des Smiths à Joy Division. Interpol constitue à mon sens un bon groupe mais qui n’aura – jusqu’à maintenant en tout cas, un nouvel album, El Pintor, étant annoncé pour la fin de l’année – jamais réellement franchi le palier le séparant des plus grands. Leur opus suivant, Our love to admire, confirmera mes impressions.

2 commentaires sur « L’appel de la nuit »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *