Les promesses de l’aube
Étienne Daho La notte la notte (1984, Virgin)
L’actualité du sieur Daho s’avère particulièrement riche ces jours-ci, entre la sortie d’un treizième album studio, Blitz, une biographie signée de l’impeccable Christophe Conte et une exposition alléchante à venir à la Philharmonie. Le plan de communication monté pour l’occasion se révèle lui aussi pour le moins chargé alors, pour ne pas contribuer au risque de (légère) overdose, permettez-moi d’adopter un regard légèrement décalé et de revenir aux débuts – sinon aux origines – de la grande aventure “dahoesque” avec ce La notte la notte devenu depuis un véritable classique de la pop d’ici.
J’aimerais te parler de ballades sur le port / Et de trésors cachés dans les rochers le soir / J’aimerais simplement te changer les idées / J’aimerais simplement chasser tes idées sombres
Promesses
Le premier album du jeune Étienne, Mythomane, paru en 1981 sous les bienveillants auspices des musiciens de Marquis de Sade et du mentor Jacno, fit lever les sourcils et battre le cœur de bien des critiques mais passa pour ainsi dire inaperçu aux yeux du public. Alors qu’il s’attendait à se faire proprement éjecter par son label, Daho se vit accorder une deuxième chance qu’il allait saisir en beauté. Le single Le grand sommeil sort à la fin de l’année 1982 et sa pop synthétique subtile et sensible va alors se déverser tout 1983 sur les ondes FM et embellir les bande-sons des discothèques. Daho peut librement s’atteler à son deuxième album, La notte la notte, et sous ses airs timides et élégants, rien moins que changer la face de la musique d’ici.
De cocktails subtils en filles dociles / De discours faciles en regards mobiles / La nuit brille de tous ses feux / Night club, paradis pour tous ceux / Qui cherchent Dieu sait qui Dieu sait quoi
Sortir ce soir
Avec ce deuxième opus, Daho parvient à tracer un sillon à part, loin des lourdeurs qu’on pensait irrémédiablement collées aux semelles de la majorité de la pop française, entre mauvaises singeries des canons anglo-saxons, mélodies putassières et paroles ineptes. Accompagné de son compère Arnold Turboust et du fidèle Franck Darcel (Marquis de Sade) à la production, Daho compose des airs souples et stylés, célébrant avec ce qu’il faut de distance la nuit, la fête, le désir, l’amour, sans oublier de rendre hommage à quelques unes de ces figures qui embellissent l’existence (de l’actrice Gene Tierney à son idole Françoise Hardy dont il reprend le Et si je m’en vais avant toi). Trop modeste ou malin pour chercher à se mesurer à ses idoles (Lou Reed ou Syd Barrett), Daho trouve la formule d’une pop naviguant entre insouciance et mélancolie et affichant un sens inné de la mélodie accrocheuse. Il occupe ainsi une position à part, à même de fédérer les esthètes underground et les amateurs des bals du samedi soir. Cette position lui permettra d’ailleurs de toujours chercher à jouer les passeurs et de détourner une partie de la lumière qu’il recevait vers d’autres artistes plus obscurs dont il admirait les travaux.
La fête s’achève et les derniers se pressent / Y’a plus rien à boire, mais tes lèvres suffisent, bonjour !
Saint Lunaire, dimanche matin
La première moitié de l’album est un quasi sans faute, alignant une théorie d’excellentes chansons. Il y a les tubes bien sûr, Week-end à Rome qui ouvre le disque comme l’aube se lève sur les rives du Tibre (et se clôt par quelques phrases d’italien aux sonorités engageantes prononcées par une certaine Lio) au Grand sommeil, dont la finesse diaphane masque des envies de suicide après une rupture douloureuse et qui s’ourle d’un saxophone jazzy de fort bon aloi. Daho alterne à merveille entre la fantaisie hédoniste de Sortir ce soir et le merveilleux balancement du somptueux Promesses, qui pour le coup tient toutes les siennes. Daho tamise les lumières pour un Laisse tomber les jaloux langoureux qui confirme que les night-clubs tiennent – et tiendront – une place de choix dans le décor du bonhomme. L’album se clôt d’ailleurs en fin de soirée sur les notes fatiguées et pourtant pleines de désirs avec le tendre Saint-Lunaire, dimanche matin qui laisse entrevoir toutes les promesses d’une aube rosée.
Oh, j’voudrais tant / J’voudrais tant coincer la bulle dans ta bulle / Et traîner avec toi qui ne ressemble à personne
Week-end à Rome
Sans être une figure centrale de mon paysage musical, Étienne Daho représente un compagnon fidèle, figure tutélaire d’une pop française digne et racée, curieuse et rassembleuse à la fois, vers lequel je reviens régulièrement et qui demeure de surcroît toujours pertinent. A voir quand ce Blitz passera dans mes tympans si cela se confirme encore une fois.
2 réponses
[…] des chansons de Daho, Promesses est assurément une de mes préférées. Calée sur l’album La notte la notte à l’ombre du Grand sommeil, c’est pourtant d’elle qu’émane la plus belle […]
[…] vert pour le Rennais d’adoption quand paraît Pop satori. Deux ans plus tôt, le formidable La notte la notte permettait au garçon d’imposer une voix résolument moderne dans la chanson d’ici, une […]