Chansons d’un monde flottant
Grizzly Bear Horn of plenty (2004, Kanine / Warp)
Alors qu’il étudie à New York, Edward Droste commence à jouer sa musique sous le nom de Grizzly Bear en 2002. Il accumule les morceaux qu’il enregistre dans son appartement de Brooklyn sur son petit magnétophone à cassette mais il faudra l’assistance du batteur Christopher Bear pour mettre la touche finale aux chansons qui constituent ce Horn of plenty.
I’m a deep sea diver losing air / And around here I’m sad swimming / You don’t care
Deep sea diver
Il est intéressant de pouvoir observer ici les premiers pas discographiques d’un groupe devenu aujourd’hui une des figures de proue de l’indie-rock suite au succès mondial de Veckatimest et de leur hit « Two weeks ». Il n’est ainsi guère paradoxal de voir une entité alors proprement embryonnaire (deux autres membres viendront s’adjoindre au duo initial pour donner au combo sa configuration définitive) jouer une musique qu’on pourrait à bien des égards qualifier d’amniotique. Sur ce premier album aux charmes vaporeux et mystérieux, Droste et Bear livrent un drôle de folk baigné de brume, dont on discernerait les beautés comme à travers une vitre mouchetée ou plutôt rendue semi-opaque par le gel. Les chansons de Horn of plenty avancent au ralenti, comme engourdies par le froid ou l’apathie et l’auditeur se laisse peu à peu gagner par l’ankylose qu’elles procurent. Réalisé avec peu de moyens, dans la plus pure tradition lo-fi, ce disque crée une intimité particulière avec l’auditeur, tenant moins à ce qu’il dévoile qu’à ce qu’il cache. Chaque recoin de ces chansons – qui rampent, flottent ou s’envolent au gré notamment des harmonies vocales trouvées par les deux comparses – semble en effet receler toute une vie bruissante qui surgit parfois furtivement ou s’agite en arrière-plan. Le folk de Grizzly Bear est ainsi tout sauf traditionaliste, se parant de boucles électroniques ou des bruits de la ville, et multipliant les petits accidents comme autant de fêlures infimes qui viendraient craqueler la surface étale des morceaux.
Even the sex couldn’t make up for all the rest / And when we opted to fuck, over watching / Filtered smut on the TV set / I realized I’ve had it so good
La Duchesse Anne
L’album s’ouvre sur un Deep sea diver magnifique, sans doute la plus belle incursion dans les grands fonds sous-marins depuis l’intouchable Bathysphere de Smog. On pense aussi beaucoup à Low (sans jeu de mots) pour cette lente intensité et la façon dont le morceau se déploie et s’étale. Avec Don’t ask, Grizzly Bear évoque le folk tremblé des premiers Elliott Smith ou du Sentridoh de Lou Barlow. Parmi les hauts faits de l’album, on mentionnera aussi le fascinant La Duchesse Anne, qui avance comme un cheval au petit trot au milieu des brumes de Brocéliande, étrange procession féerique teintée de mystère qui évoque les chansons malades de Syd Barrett ou de Kevin Ayers. Au fil du disque, Grizzly Bear sème comme cela des chansons qui cheminent d’un pas indolent mais jamais pesant, avançant avec une grâce fragile comme Shift ou Eavesdropping qui s’illumine au fur et à mesure que s’élève un violon. L’album se clôt en beauté avec le sublime This song, qui pourrait ressembler à une démo oubliée de Galaxie 500.
It’s amazing / That I can still sing this song / So simply about you
This song
Grizzly Bear fera mieux par la suite, livrant des albums d’une autre ampleur et des chansons plus marquantes. Mais on s’aperçoit néanmoins que le charme éphémère de ces morceaux nous plaît : on a parfois du mal à distinguer un morceau de son suivant mais le tout nous entraîne dans une drôle de rêverie, emplie d’images de forêt, de brume, de rivière au calme troublant : quelque chose comme un monde flottant.
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[…] avoir évoqué il y a peu son premier album, Horn of plenty, continuons ce soir de remonter la discographie du groupe de Brooklyn. Horn of […]