On tourne en rond
R.E.M. Around the sun (2004, Warner)
On avance, on avance… et nous voilà maintenant arrivés à la treizième (et antépénultième) étape de ce tour complet de la discographie de R.E.M., initié il y a déjà bien des mois. En près d’un quart de siècle d’existence, le groupe d’Athens, Géorgie, avait réussi la gageure de combiner succès public mondial et exigence artistique constante. Et si le cours de la carrière de R.E.M. ne ressembla pas toujours à un long fleuve tranquille, le groupe sut faire en sorte que ses quelques étiages ne ressemblent pas à de pauvres rigoles à l’inspiration desséchée et ne le laissent pas s’envaser. Quand le carré magique perdit un de ses côtés suite au retrait du batteur Bill Berry, il sut se réinventer en beauté au tournant du siècle pour livrer coup sur coup deux albums marquants, Up et Reveal, le premier nommé constituant même un des hauts faits d’une discographie qui n’en manque pas.
You might have left if I told you / You might have hidden a frown / You might have succeeded in changing me / I might have been turned around
Leaving New York
Malgré ses évidentes beautés, Reveal laissait quand même deviner quelques failles et on se surprenait à s’ennuyer poliment le temps de quelques morceaux. R.E.M. menaçait de-ci de-là de virer pontifiant, écueil avec lequel il avait d’ailleurs déjà flirté, trouvant néanmoins toujours la parade pour ne pas s’approcher trop près des rochers. Around the sun donne pour la première fois à entendre un R.E.M. flemmard, se laissant gagner par la routine et incapable de se régénérer ou de se réinventer comme il avait su le faire par le passé. C’est comme si le groupe jouait en pantoufles, creusant mécaniquement le sillon tracé par son précédent opus. Mais les couleurs d’automne qui faisaient vibrer Reveal ont déteint et R.E.M. aligne des chansons en rase-mottes, sans jamais (ou presque) trouvé le créneau favorable pour décoller.
I can’t believe where circumstance has thrown me / And I turn my head away / If I look I’m not sure that I could face you / Not again, not today, not today
Final straw
L’album s’ouvre pourtant sur un Leaving New York prometteur, à la nostalgie élégante et mordorée. Mais le reste du disque ne campera jamais à ces hauteurs. Certes, rien de honteux ici (on n’est pas chez Vianney) et Stipe, Buck et Mills ont suffisamment de talent et de métier pour livrer quelques titres qu’on écoute sans déplaisir. Ce sera par exemple le folk électronique de Electron blue ou le final lumineux de Around the sun, le morceau. Aftermath a un côté charmant mais exploite une veine déjà parcourue par le groupe avec plus d’ardeur. Le reste du temps, il se passe bien peu de choses pour un disque d’un groupe aussi important. Écrit dans un contexte politique plombé par la guerre en Irak, Around the sun contient pourtant quelques uns des morceaux les plus engagés écrits par Michael Stipe comme Final straw ou The worst joke ever mais le feu couve sans jamais prendre vraiment. R.E.M. ne semble plus savoir vers où il veut aller et finit par tourner en rond. On ne sera donc pas surpris d’entendre quelques années plus tard Peter Buck avouer qu’ Around the sun était pour lui l’expression d’un groupe en pleine crise d’ennui, délayant sa musique le temps d’un enregistrement s’étalant inutilement sur plusieurs semaines.
Now I am trying to remember / The feeling when the music stopped
The outsiders
Je me garderai bien de jeter la pierre à R.E.M. sur la foi d’un album mi-figue, mi-raisin, d’autant que je ne suis pas du genre à demander des comptes aux artistes que j’aime. Ce sont les maîtres du jeu, libre à moi de les suivre ou pas. Après avoir maintenu un niveau si élevé pendant aussi longtemps, il paraissait en fait presque étonnant que le groupe d’Athens n’ait pas sorti plus de disques moyens au fil de sa discographie. On sentait bien quand même à l’écoute d’ Around the sun que le crépuscule approchait et on se demandait si R.E.M. était entré dans une sorte de léthargie terminale. Si ses meilleurs moments resteraient derrière lui, la suite montrerait que le groupe n’avait pas encore brûlé tous ses feux.
1 réponse
[…] débutée en 1980 et menée sans guère de fausses notes durant plus de trois décennies. Avec Around the sun justement, et sans doute pour la première fois dans de telles proportions, on pouvait considérer […]