Les portes du paradis
The Doors The Doors (1967, Elektra)
Il n’est pas évident de parler ici d’un disque aussi connu, classique absolu d’un groupe mythique, paré qui plus est de l’aura légendaire de Jim Morrison, dont la pierre tombale accueille encore quotidiennement 35 ans après sa mort les hommages de dévots pèlerins. Que pourrais-je en effet rajouter qui n’ait pas été dit?
J’ai découvert les Doors banalement à la sortie de l’adolescence, au moment où sortait sur les écrans le biopic d’Oliver Stone consacré à Morrison. J’ai acheté ce disque (auquel je préférais même le best of) et puis, les années passant, le groupe s’est trouvé relégué parmi les souvenirs de ma jeunesse, sorte de symbole sympathique de mes anciens goûts. Je n’ai ainsi jamais cherché à écouter d’autres disques du groupe jusqu’à très récemment. Et puis, sans trop savoir pourquoi, j’ai un jour ressorti ce disque de l’étagère et me voilà à nouveau sous le charme d’une musique qui se présente à moi sous un jour différent.
On retient souvent des Doors les postures de poète maudit de Jim Morrison, les longs morceaux psychédéliques, les déclamations hallucinées et les concerts chaotiques transformés en cérémonies païennes sous la férule d’un leader charismatique ne refusant aucune addiction. Je préfèrerais insister sur la musique du groupe, sur ce mélange détonnant de rhythm and blues, de jazz, de musique de cabaret, de classique et de pop. Plus que le poète romantique pour cœurs adolescents, Morrison est d’abord un chanteur sauvage, insufflant aux morceaux du groupe une puissance et une dynamique peu communes, les remplissant jusqu’à la gueule de sperme et de sueur. Loin d’être un groupe de ballades éthérées à la The end, le groupe est d’abord un grand groupe de rhythm and blues, dont la musique campe solidement sur ses bases avant de penser éventuellement à décoller. L’orgue de Manzarek donne un cachet original au groupe (de même que l’absence de bassiste) et les incisions de guitare de Krieger apportent un élégant contrepoint aux débordements furieux du fleuve Morrison.
Impossible ici de faire abstraction des classiques de l’album, le sauvage et rageur Break on through avec son riff tonitruant, la folle cavalcade de Light my fire, chef-d’œuvre absolu avec son intro à l’orgue inoubliable et la longue dérive œdipienne de The end, long fleuve intranquille menant droit au cœur des ténèbres. Outre ces morceaux incontournables, on n’oubliera pas le baroque Alabama song (whisky bar), blues bringuebalant repris d’un original de Kurt Weill. Les excellents Back door man (morceau fétiche du groupe repris cette fois de Willie Dixon) et Soul kitchen démontrent la force tellurique du groupe tandis que le rafraichissant Take it as it comes rappelle que le groupe savait composer des petites perles de pop psychédélique de moins de trois minutes.
Ayant repris goût aux Doors, j’ai entrepris aujourd’hui de rattraper mon retard, petit élève studieux en quête des œuvres ultérieures du combo, heureux de savoir que de nouvelles découvertes m’attendent. Quant à ce disque impeccable, il ne devrait plus reprendre la poussière de sitôt dans mon petit intérieur.