Le chant des sirènes
Mazzy Star So tonight that I might see (1993, Capitol Records)
Quinze jours à peine après avoir parlé dans ces colonnes du premier album de Mazzy Star – She hangs brightly – , il serait tentant de reprendre peu ou prou les mêmes mots pour évoquer aujourd’hui son successeur, cet extraordinaire So tonight that I might see, tant l’impression est forte de retrouver le groupe là où on l’avait laissé trois ans auparavant. David Roback et Hope Sandoval usent en effet des mêmes ingrédients qui conféraient à leur musique toute sa mystérieuse beauté.
Le long de ces dix titres impressionnants, peuplés de lumières bleutées (cf. Blue light) et de papillons couleur de nuit, Mazzy Star continue de s’abreuver aux mêmes sources : folk noctambule, pop-rock psychédélique chargé d’orage, blues délavé et saillies électriques.La voix d’Hope Sandoval paraît toujours flotter au-dessus de la musique tandis que la guitare de Roback dessine en arrière-plan d’envoûtantes volutes sur une rythmique lancinante. Mais si Mazzy Star croise toujours dans les mêmes eaux (pas loin du triangle des Bermudes) que sur son premier album, le groupe atteint une ampleur et une profondeur que She hangs brightly ne faisait qu’effleurer. Pour résumer à gros traits, Mazzy Star joue la même musique mais le fait cent fois mieux, insufflant une bonne dose d’intensité et de magnétisme à ses premiers essais. L’espace et le temps semblent ainsi se dilater, les horloges ralentir et tout tourne autour de ce tempo d’une lenteur fascinante, le chant de la sirène Sandoval nous entraînant sûrement par le fond.
Sur ce disque d’une extrême cohérence et d’une formidable constance dans l’excellence, Mazzy Star aligne plusieurs chansons dont des centaines d’écoute n’ont pas pu altérer la suprême beauté. On pense évidemment en premier lieu à ce Fade into you introductif qui vaudra au groupe son seul et unique succès (proprement inespéré), ballade folk-rock d’une évidence absolue dans laquelle l’auditeur ne peut que disparaître, comme le chante si bien Hope Sandoval. Outre ce soufflant incipit, Mazzy Star délivre plusieurs chefs-d’œuvre de psychédélisme vénéneux, notamment un Bells ring en lévitation ou le final So tonight that I might see qui ressuscite dans un nuage d’encens le fondamental All tomorrow’s parties du Velvet Underground, tambourin inclus. Le groupe tutoie également la grâce avec un Five string serenade nu comme un ange emprunté à Arthur Lee mais s’il ne fallait retenir qu’un titre, ce serait peut-être cet Into dust sépulcral, sur lequel la voix de Sandoval semble surgir d’outre-tombe, succube fascinante et froide drapée d’un halo de silence impressionnant. Presque vingt ans après, le charme de ce disque magistral continue de faire son effet, semblant même se renforcer au fil des années. Il fait partie pour moi de cette poignée de disques fondamentaux d’une richesse sidérante qui nous venaient alors d’une Amérique déprimée et qui a donné à la musique de cette fin de siècle quelques unes de ses plus grandes voix, de Smog à Vic Chesnutt, de Mark Kozelek à Will Oldham.
Mazzy Star sortira un autre album Among my swan en 1996, sur lequel rien n’aura encore une fois semblé bouger, mais une partie du charme se sera quelque peu éventée. Le groupe finira par se séparer, chacun menant sa barque de son côté. Hope Sandoval prêtera sa voix aux Chemical Brothers le temps d’un morceau rendu célèbre par une publicité Air France. Elle sortira deux albums sous son nom accompagné d’un groupe dénommé les Warm Inventions, le très beau Bavarian fruit bread en 2001 et Through the devil softly (2009) que je ne connais pas. On recroisera Roback par-ci par-là, notamment sur la BO du film Clean d’Olivier Assayas sur laquelle il offrira à Maggie Cheung deux ou trois morceaux semblant directement puisés au répertoire de Mazzy Star. Après plus de quinze ans de hiatus, le groupe a fait paraître deux morceaux fin 2011, et un nouvel album est annoncé pour 2012. A suivre…
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[…] temps de trois albums captivants et capiteux – dont un chef-d’œuvre certifié avec So tonight that I might see – Mazzy Star déploya entre 1990 et 1996 son charme torpide et vénéneux, se constituant une […]
[…] ans après son sidérant chef-d’œuvre de 1993, le capiteux So tonight that I might see, Mazzy Star faisait paraître ce troisième album studio avec sur les épaules le poids des […]