Southern Belle
Valerie June Pushin’ against a stone (2013, Sunday Best / Pias)
La musique est un permanent aller-retour entre le passé et le présent et il est des voix qui paraissent surgir tout à la fois d’hier et d’aujourd’hui, fermement ancrée dans leur époque tout en affichant fièrement un héritage qu’elles savent maintenir insolemment vivant. Comme le Ben Harper des débuts ou plus récemment Alela Diane, Valerie June fait incontestablement partie de ces voix fortes et belles grâce auxquelles le plaisir de la découverte musicale demeure sans cesse renouvelé.
I ain’t fit to be no mother / I ain’t fit to be no wife / I’ve been working like a man y’all / I’ve been working all my life
Workin’ woman blues
Révélation de l’année dernière, Valerie June n’est pourtant pas tombée de la dernière pluie. Originaire de Memphis, Tennessee, la jeune femme a dix-neuf ans quand elle enregistre un premier album au sein de Bella Sun, duo composé avec son mari d’alors. Après son divorce, Valerie June vit la vie des musiciens de rue, jouant dans les bus et dans les bars. Elle persiste et s’accroche, étoffe peu à peu son registre musical et après deux albums auto-produits, se fait remarquer sur Internet en apparaissant dans une web-série de MTV sur la scène musicale de Memphis. Elle rencontre Dan Auerbach, moitié des Black Keys, qui lui ouvre les portes de son studio d’enregistrement et lui permet de graver ce premier album “officiel”, Pushin’ against a stone.
I was on my way back home / My heart was like a stone / With the stars up in the sky / As they watched us say goodbye / It won’t hide or disguise / My love you cried / As we said goodbye
The hour
Sur ce disque remarquable, Valerie June s’en va puiser dans les inépuisables gisements de la tradition musicale nord-américaine – folk, blues, soul, gospel, pop 60’s – pour en tirer un minerai brûlant d’une beauté sans âge. Le résultat est une musique d’une splendeur intemporelle, qui navigue entre les genres pour mieux s’en émanciper, dressant en filigrane le portrait fragmenté de son auteure et de son parcours cahoteux. Tout au long des 11 titres qui constituent l’album, on peut ainsi reconstituer les années de vache maigre, la rudesse subie et la force gagnée, l’espoir qui résiste et la fierté d’avoir su se construire malgré tout, de s’être bâti un monde sien – avec beaucoup des autres et énormément de soi.
Oh got no place in this old world / Shackle bound, but still I roam (Twined & twisted)
Twined & twisted
Le disque s’ouvre sur un Workin’ woman blues bagarreur, où guitare acoustique, cuivres et percussions font d’emblée monter la température. Valerie June sème ensuite toute une série de ballades bouleversantes, qu’elle habille selon son humeur de gouttes de rosée coulant sur les joues (les mirifiques Somebody to love ou Twined & twisted) ou vêt de robe du soir, comme sur cette valse sortie tout droit d’un répertoire de girl group 60’s qu’est The hour ou sur le sensuel et lascif Wanna be on your mind. Mais Valerie June sait aussi habiter des airs plus énergiques. Le temps d’un Pushin’ against a stone ou d’un You can’t be told rutilant et rugueux, la jeune femme se fait ainsi lionne, sa seule présence féline intimidant suffisamment pour qu’elle n’ait point besoin de rugir. Elle s’offre aussi un duo vintage avec le précieux Dan Auerbach le temps d’un Tennessee time comme sorti d’un vieux saloon sudiste du début du XXe siècle. La dame sait aussi se faire inquiétante sur Shotgun, une murder ballad de la plus belle eau noire. Le disque se clôt par une réinterprétation (encore plus) belle et fragile de Somebody to love, façon sans doute pour Valerie June de laisser derrière elle une trace diaphane de son passage, une poussière d’ange sur nos épaules.
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[…] son premier album « officiel » aux yeux et aux oreilles du monde en 2013 avec son sublime Pushin’ against a stone. Un peu comme Ben Harper à ses débuts, la jeune femme allait puiser dans la tradition des […]