La quarantaine rugissante
Miossec 1964 (2004, PIAS)
Avec Brûle (2001), Miossec apparaissait en Breton tâtonnant, cherchant visiblement de nouvelles pistes musicales pour offrir à son verbe toujours – enfin, le plus souvent… – coupant un écrin à la hauteur. Le résultat s’avérait un brin mitigé, mêlant le bon grain et l’ivraie mais faisant entrer dans les chansons du bonhomme des sonorités jusque là inédites. Il faut dire qu’après la claque monumentale assénée par Boire (1995) à la face de la chanson d’ici, Miossec semblait en peine de retrouver le juste équilibre entre ses mots et sa musique, les premiers prenant trop souvent le dessus sur la seconde. Jugeant très sévèrement le pourtant loin d’être indigne Brûle, le Brestois allait traverser une sévère remise en question avant de trouver dans une improbable commande du Conseil général du Vaucluse l’opportunité de se mettre en danger. Sollicité pour donner une série de concerts accompagnés par l’Orchestre lyrique d’Avignon (et d’abord un brin réticent l’avouera-t-il), Miossec se lança dans l’aventure sous la pression d’être à la hauteur de la soixantaine de musiciens jouant à ses côtés.
La Recouvrance que l’on délaisse / La rue de Siam, ses nuits d’ivresse / Ce n’est pas par manque de politesse / Juste l’usure des nuages et de tes caresses
Brest
Dans cette configuration inhabituelle, Miossec n’allait pas se contenter d’une relecture orchestrale de ses anciens morceaux. Il se mit à composer de nouveaux titres et, résolu à se donner cette fois les moyens de ses ambitions, décida de déléguer les arrangements au précieux Joseph Racaille et de s’adjoindre les services du couple en or des Valentins, Jean-Louis Piérot et Édith Fambuena, pour assurer la production et l’instrumentation. Avec cet équipage haut de gamme, partie prenante au chef-d’œuvre de Bashung, Fantaisie militaire, Miossec allait parvenir à faire entrer dans son intérieur un salutaire courant d’air. Sans délaisser ses penchants rock, le bonhomme s’applique à les discipliner, laissant des guitares bien mieux peignées qu’avant faire de la place à d’autres partenaires de jeu à la riche conversation – piano, violon, orgue Hammond – et sur quatre titres, carrément s’effacer derrière le souffle tempétueux de l’orchestre. Là où la musique de Miossec avait parfois tendance sur les trois albums post-Boire à s’affaisser, elle rentre ici son ventre et redresse l’échine. Comme si, pour faire le bilan à l’heure de passer la quarantaine rugissante, le Breton souhaitait montrer que, ainsi qu’il le chante sur le trépidant En quarantaine, « on peut encore se modifier ».
Nous ne serons plus jamais enceintes / Est-ce une chance pour l’humanité ? / On commence à déposer des plaintes / Et vouloir se justifier / On est débordé par les contraintes / Est-ce le prix de la maturité ?
En quarantaine
Désormais quadragénaire, Miossec continue dans ses textes à se faire le comptable impitoyable des entailles creusées par la vie dans nos écorces d’homme, récupérant les copeaux pour les jeter au feu. Ce feu qui, comme l’alcool, réchauffe l’âme mais laisse aussi dans l’air une âcre odeur de cendres. A quarante ans donc, alors que le corps accuse peu à peu le poids des excès d’hier, Miossec porte un regard à 360 degrés sur l’existence, de la recension des échecs passés à l’exaltation des espoirs toujours vifs. 1964 est ainsi un disque rempli de départs et d’au revoir mais aussi de fièvre et de désirs, animé par la volonté farouche de ne rien oublier des grands émois et des petites lâchetés (et réciproquement) qui font de nous ce que nous sommes. Comme si seule une implacable lucidité donnait la force de soutenir le poids des années.
J’étais si près de toi / Que j’ai commis tant de fautes / Je n’ai pas vu venir le froid / S’abattre sur nos côtes
Pentecôte
Cette lucidité sans fard illumine les meilleurs morceaux du disque, à commencer par le somptueux Je m’en vais inaugural. Avec ce titre, comme avec le désormais classique Brest, Miossec signe deux bouleversants chants d’adieu, entonnés la tête haute et la voix pleine de larmes. La douleur des séparations ne doit cependant pas conduire au renoncement : l’abrasif Essayons (et ses guitares à la Radiohead) comme le lumineux Ta chair ma chère sont ainsi de palpitantes invites à garder l’appétit. Cette force motrice fait des merveilles sur les titres orchestrés par Joseph Racaille, d’un Désolé pour la poussière majestueux et aérien au saisissant Dégueulasse, pudique et poignant. Tout n’est certes pas réussi dans cet album, tant le garçon ne sera jamais à l’abri d’embardées plus ou moins digestes. On passera ainsi volontiers sur le pénible Le stade de la résistance ou un Rose sans surprise. Mais on oubliera vite ces quelques temps morts, tant l’album se termine en véritable apothéose, enchaînant le vibrant Les gueules cassées avec le formidable Pentecôte, sur lequel un vent de lyrisme déchaîné vient secouer le cocotier de la plus belle des façons, nous laissant décoiffés et hagards.
Et même si on meurt demain / Et même si tout doit un jour prendre fin / Dis-moi au moins une fois encore / Si je te mérite, ma chère
Ta chair ma chère
Dans un tout autre registre musical, Miossec livrait sans doute avec 1964 son disque le plus abouti depuis Baiser, et peut-être même depuis son fondamental Boire. Il dépoussiérait surtout avec panache l’image brouillonne et imbibée qu’il pouvait parfois renvoyer, à son corps pas toujours défendant. « Disque de la maturité » vous diront les gazettes ; disque digne et droit, fier et fragile, me contenterai-je d’écrire. Un nouvel album de Miossec, Les rescapés, est annoncé pour la fin du mois.
1 réponse
[…] lui aussi à ranger parmi les hauts faits du Brestois. Souvent occulté par son prédécesseur, l’excellent 1964, vraie réussite artistique et succès commercial, L’étreinte est un disque qui mérite que […]